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Europe, Etats-Unis: "nous arriverons à ramener l'inflation à 2% à moyen terme"

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Lors d'une conférence, Jean-Claude Trichet a conditionné un retour à un niveau d'inflation raisonnable à une détermination continue des banques centrales à atteindre l'objectif fixé de 2%. Selon l'ancien gouverneur de la Banque de France, les effets récessifs sont en revanche inévitables.

Il était à la place de Christine Lagarde il y a près de 15 ans lorsque la crise financière a gagné l'Europe. Adepte de la désinflation compétitive et ardent défenseur de l'objectif d'une inflation autour de 2%, Jean-Claude Trichet a donné une conférence ce lundi matin pour évoquer les perspectives économiques et les conséquences de la hausse des prix qui touche depuis plusieurs mois les pays avancés et plus généralement le monde entier.

"J’ai confiance dans le fait que nous arriverons à ramener l'inflation à 2% à moyen terme, c'est-à-dire dans un délai de trois ans, si la détermination des banques centrales restent claire et visible et s’accompagne de la croyance dans leur propre crédibilité, a déclaré l'ancien président de la Banque centrale européenne (BCE). Certains agents économiques sont sceptiques, d'autres comme moi y croient en raison de ces signaux forts que sont les hausses significatives des taux directeurs."

Des pressions inflationnistes quasi-inexistantes pendant plus de 12 ans

L'ancien gouverneur de la Banque de France est d'abord revenu sur la période inter-crises, entre la faillite de Lehman Brothers et la pandémie de coronavirus, qui explique selon lui le retour en force de l'inflation. Cette période d'une douzaine d'années a été marquée des pressions inflationnistes particulièrement faibles. La plupart des pays et notamment ceux avancés témoignaient alors d'une croissance potentielle particulièrement basse laquelle était héritée de la grande crise financière.

D'autres facteurs ont également joué leur rôle comme l'accélération de la globalisation avec l'optimisation de la division du travail et l'irruption de pays à très faibles coûts au premier rang desquels la Chine. La crise financière avait particulièrement nuit à la confiance des ménages, ce qui avait eu pour conséquence un excès d'épargne et des taux d'intérêt extrêmement bas entretenus par des politiques monétaires expansives.

"On avait le sentiment que c'était éternel et il y a avait une croyance naïve que nous nous trouvions désormais dans une perspective d'inflation très basse, a rappelé Jean-Claude Trichet. Nous avons basculé au milieu de l'année avec un point d'inflexion qui correspondait à la reprise post-Covid."

La prévention de la déflation a longtemps été la priorité

Cette reprise post-Covid a fait office de déclencheur car la demande, pendant longtemps "inhibée", a explosé. Les banques centrales majeures ont pris du retard pour mettre en oeuvre les mesures anti-inflationnistes en raison justement de cet héritage des politiques monétaires menées au cours de la dernière décennie. "Il est toujours difficile d'opérer des changements à 180 degrés, a reconnu celui qui est aujourd'hui membre de l'Académie des sciences morales et politiques. Pendant longtemps, le principal danger perçu était la matérialisation de la déflation."

Des causes liées à des changements structurels de long terme sont également intervenus dans ce retour de l'inflation à commencer par la déglobalisation due à la prise en compte du risque de pannes des pays avancés sur certains composants. "Aux Etats-Unis, une réelle capacité de négociation a émergé du côté des syndicats avec comme symbole les Républicains qui sont apparus comme étant le parti des cols bleus et plus seulement du big business", ajoute Jean-Claude Trichet. Enfin, la guerre en Ukraine a évidemment été un élément décisif.

Un problème de modèles?

Le membre de l'Institut de France pointe également du doigt la domination des modèles néo-keynésiens dans les sphères des décideurs. "Ils rendent compte de ce qui se passe en période normale ou de faibles changements structurels mais fonctionnent mal lorsqu’il y a des changements rapides, a-t-il estimé. Après la faillite de Lehman Brothers, l'ampleur de la récession avait été largement sous-estimée par exemple. Plus récemment, les modèles suggéraient de nouveau de ne pas surréagir mais il faut se faire un jugement sur la base de ce que l'économie réelle dit vraiment."

L'ancien président de la BCE plaide pour une indépendance des politiques monétaires conventionnelles, qui agissent sur les taux d'intérêt directeurs, et celles non-conventionnelles, qui correspondent à l'achat de titres négociables sur les marchés. "Les deux banques centrales ont attendu d’en avoir fini avec les achats de titres pour augmenter les taux d’intérêt", déplore-t-il.

Des motifs d'optimisme

Si Jean-Claude Richet se montre plutôt confiant, c'est principalement en raison des fortes hausses de taux directeurs décidées par la Fed et la BCE ces derniers mois et qui témoignent d'une volonté ferme de réaffirmer l'objectif d'une inflation à 2%. Instaurée de longue date au sein de la zone euro, il a été aussi été adopté par les Etats-Unis et le Japon il y a maintenant dix ans. "Il y a un risque trop important de déflation si on vise une inflation proche de 0, a expliqué Jean-Claude Richet. Certains économistes ont avancé le chiffre de 4% mais ils n'ont pas été suivis parce que cela pouvait amener des mécanismes d'accélération de l'inflation qui pouvaient pénaliser les plus pauvres".

"Les quatre banques centrales majeures ont le même objectif et je considère que c’est rassurant, a-t-il évoqué. C'est en réalité la principale réforme du système monétaire international que nous ayons pu enregistrer depuis les accords de Bretton-Woods en 1944."

Alors que l'inflation de la zone euro sur un an atteint 10,7% en octobre contre 7,7% pour les Etats-Unis, l'ancien gouverneur de la Banque de France préfère se baser sur l'inflation sous-jacente qui gomme les perturbations exogènes non liées au cycle économique. La hausse des prix est alors quasi-similaire entre les deux zones géographiques, à 6,4% en Europe et 6,3% aux Etats-Unis. "L’inflation sous-jacente a augmenté en Europe de manière extrêmement régulière et linéaire depuis juillet 2021 où elle était à 0,9%, a-t-il souligné. Elle était à 2,7% en décembre 2021 puis 2,9% en février 2022 juste avant la guerre en Ukraine. C'est ce phénomène-là qu'il faut bloquer."

L'inaction aurait été la pire solution

Si la réaction à la hausse des prix a été un peu tardive, elle ne l'a pas été autant qu'au tournant des années 1980 où le taux d'inflation avait atteint 14% outre-Atlantique et avait nécessité une augmentation des taux directeurs jusqu'à 20% sous la gouvernance de Paul Volcker. "Il y a des effets récessifs qui sont inévitables, a tempéré Jean-Claude Trichet. Si la banque centrale considère que les combattre est son principal objectif, elle contribue à entretenir l’inflation. L’objectif absolument fondamental est de prévenir les effets de second tour."

Pour cela, l'ancien président de la BCE espère qu'un grand nombre d'entreprises et de fournisseurs vont vite comprendre qu'ils ne doivent pas raisonner sur la base d'une spirale inflationniste qui serait durable. Par ailleurs, il encourage le recours aux primes plutôt qu'à l'indexation des salaires sur l'inflation qui mène inévitablement à la récession.

Timothée Talbi