Pourquoi le passage du plastique au carton pour emballer les fruits et légumes n'est pas si simple

A compter du 1er janvier 2022, la vente sous plastique de nombreux fruits et légumes frais non transformés sera interdite en France, dans le cadre de la loi anti-gaspillage adoptée l’an dernier.
Vous ne trouverez plus dans les étals du supermarché de poireaux, courgettes, aubergines, poivrons, tomates rondes, pommes, poires, prunes ou encore mangues vendus sous emballages plastiques. Cette nouvelle règle concerne à la fois l'agriculture conventionnelle et l'agriculture biologique. Les distributeurs qui contreviendraient à ces consignes s’exposeront à des amendes allant jusqu’à 15.000 euros, et une astreinte journalière de 1500 euros.
Des dérogations nombreuses
Mais en pratique, ce n'est pas aussi simple que cela en a l'air. Tout d'abord, un délai de six mois a été accordé pour écouler les stocks d'emballage. Puis, certains fruits et légumes, jugés plus fragiles, ont obtenu des dérogations qui s'étalent jusqu'à 2026.
Par exemple, les haricots verts, oignons, et tomates côtelées pourront toujours être vendus sous plastique jusqu'à juillet 2023. Idem pour les champignons, endives, épinards et salades, jusqu'à janvier 2025. Quant à la plupart des fruits rouges, le délai a même été repoussé à l'été 2026.
Par ailleurs, la nouvelle réglementation ne concerne pas les conditionnements de plus d'1,5 kg. Les gros filets de pommes de terre vont ainsi y échapper.
Un surcoût pour les producteurs
Passer du plastique au carton nécessite des investissements coûteux pour les producteurs. "Nouvelles machines, emplois créés… le passage au carton, début 2020, a généré un surcoût de 20% de nos emballages, qui représentaient déjà 30% du prix de notre produit", explique au Parisien Emmanuelle Roze, la cofondatrice des champignonnières Lou Légumes.
Mais ce n'est pas la seule contrainte. Il faut aussi réfléchir à la manière d'emballer le plus efficacement possible les produits. "Pour certains fruits et légumes humides comme les champignons, ce n’est pas facile", cite en exemple Philippe de Boisgrollier, délégué général de la Fédération Française du cartonnage.
Outre la conservation, le plastique présente un autre avantage de taille: les consommateurs identifient tout de suite le produit. Or, avec un emballage en carton, même astucieusement troué, les fruits et légumes sont moins visibles. Les producteurs craignent une chute des ventes.

La solution est peut-être à chercher du côté des distributeurs. Dans le cadre de sa démarche visant à diminuer progressivement l'usage du plastique dans ses rayons depuis trois ans, Carrefour a épaulé certains producteurs.
"Il y a trois ans, on passait pour des ovnis", s'amuse Bertrand Swiderski, le directeur RSE du groupe Carrefour. "Aujourd'hui, on a des ceintures en papier autour de nos fruits et légumes, des boîtes en cartons pour les pommes, les poires et les tomates, ou encore des filets en fibre lyocell pour les échalottes par exemple".
Le groupe a travaillé main dans la main avec des producteurs pour les aider à concevoir des étuis en carton, se concentrant particulièrement dans le bio pour les distinguer des autres produits. Une partie des frais a été financée par Carrefour. Pour le distributeur, le fait d'avoir anticipé cette transition vers le papier et le carton permet de ne pas répercuter les coûts sur les prix en magasin.
Le prix du papier recyclé a été "multiplié par 10"
Mais c'était sans compter l'envol du prix des matières premières depuis la crise sanitaire. En cause, une reprise économique forte, des prix de l'énergie qui flambent, tout comme ceux du papier recyclé, utilisé pour fabriquer le carton des emballages. Ce dernier "a été multiplié par 10 depuis la crise", affirme Philippe de Boisgrollier, de la Fédération Française du cartonnage.
"La filière de l’emballage carton fait face à des pénuries au niveau européen. C'est devenu dramatique depuis juin ou juillet, poursuit Philippe de Boisgrollier. L’essentiel des pénuries concerne le carton plat qui sert à faire de petits étuis pour l’alimentaire, pour emballer les yaourts par exemple. Avant la crise, le délai était de 4 à 6 semaines. Désormais, il est passé de 15 à 25 semaines".
Des pénuries de papier qui menacent aussi l'industrie du livre. Pour autant, le délégué général de la Fédération du cartonnage ne croît pas que ces problèmes d'approvisionnement menaceront la mise en oeuvre de la loi sur la fin des emballages plastiques pour certains fruits et légumes.
"On ne parle pas de volumes énormes. C'est comme pour les colis, on a beaucoup craint les pénuries mais en réalité, ça ne représente que 5% ou 6% du marché, le reste correspond aux emballages carton pour les magasins", nuance Philippe de Boisgrollier.