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Faire ses courses en vrac: les Français vont-ils (enfin) s'y mettre?

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La croissance du marché du vrac a été nettement ralentie par la crise sanitaire. Mais cette mauvaise passe conjoncturelle ne devrait pas remettre en cause son déploiement dans les prochaines années.

Le vrac, touché en plein vol? Après avoir connu une dynamique qui rendrait jaloux bon nombre de secteurs, le vrac affronte un sérieux trou d'air depuis le début de la crise sanitaire. De 40% en 2019, la croissance du marché s'est tassée à 8% en 2020, et la situation n'était pas meilleure l'année suivante. Une consultation menée en décembre dernier par l'association professionnelle Réseau Vrac assurait que 40% des commerçants vrac craignaient de devoir fermer dans les six prochains mois.

La pandémie a désorganisé la manière de faire ses courses et une partie de la clientèle habituelle n'est toujours pas revenue. Or, la filière est encore très jeune: la plupart des entreprises spécialisées, notamment les épiceries, ont été créées peu de temps avant la crise sanitaire, avec un business plan qui prévoyait une explosion de la demande pour assurer le retour sur investissement. Difficile, sans trésorerie suffisante, d'éponger le creux de chiffre d'affaires des derniers mois.

"Faire ses courses en vrac requiert une certaine organisation. Tant que ce n'est pas devenu un réflexe, cela demande du temps", souligne Célia Rennesson, à la tête de Réseau Vrac. Avec le retour au bureau et la reprise des loisirs, les clients "ont l'impression d'être moins disponibles et se disent qu'ils se remettront a vrac plus tard, lorsque la crise sera passée". Mais il ne faut pas se tromper: "ce n'est pas un désamour du vrac" car la demande est présente, assure-t-elle.

Mauvaise passe conjoncturelle

Car la crise sanitaire ressemble plus à une mauvaise passe conjoncturelle qu'à un déclin de la filière, qui envisage plutôt un avenir radieux. D'une vingtaine de magasins spécialisés en 2015, on en compte plus de 900 aujourd'hui. Surtout, la grande distribution est entrée en scène: on trouve désormais un rayon vrac dans presque tous les supermarchés de l'Hexagone. Selon une étude du panéliste NielsenIQ, 37% des foyers français déclarent acheter du vrac, et près de la moitié d'entre eux le ferait au moins une fois par mois.

Le véritable défi est plus structurel. Le marché est aujourd'hui porté par un petit nombre de clients très convaincus, qui achètent le plus possible en vrac par conviction écologique. La masse des consommateurs, elle, se contente encore de repartir de temps en temps avec des noisettes ou des céréales, et achète finalement très peu. "C'est un peu pour se donner bonne conscience, c'est le même phénomène qu'en bio", constate le spécialiste de la grande distribution Olivier Dauvers.

Pour passer à l'échelle supérieure, le vrac doit élargir son panel de clients réguliers, pas assez nombreux pour le moment. La crise sanitaire "est une fausse excuse", assure Bertrand Swiderski, directeur RSE du groupe Carrefour, pour qui le tassement de la croissance du marché se trouve surtout du côté des clients déçus par une première expérience. Pour y remédier, le distributeur a lancé en juin 2021 un concours d'innovation destiné aux start-up, à l'issue duquel les cinq projets sélectionnés seront testés en magasin.

L'objectif: améliorer l'expérience client en supprimant le plus possible les "irritants", c'est-à-dire toutes les choses qui peuvent exaspérer ou décevoir le client lorsqu'il fait ses courses. Impossible de savoir combien coûte ce que l'on prend avant de le peser, plus d'accès à la date limite de consommation ou à la liste d'ingrédients après l'achat, des produits en vrac souvent plus chers au kilo que les produits emballés, une offre encore peu diversifiée… Ils sont nombreux.

Les grandes marques débarquent

L'un des projets sélectionnés par Carrefour permet à l'acheteur de connaître en temps réel la quantité et le prix du produit lorsqu'il se sert - à la manière d'une pompe à essence, en quelque sorte. Un autre projet propose un QR code associé au produit permettant de retrouver les informations habituellement inscrites sur l'emballage. Les traditionnels rayons où s'alignent les silos "n'ont pas été transformés depuis quarante ans. On innove, mais il faut laisser le temps au marché de se développer", complète Célia Rennesson.

"Il faut aussi lever certains freins réglementaires. Dans d'autres pays, nous avons le droit de vendre des surgelés ou de la lessive en vrac. C'est aberrant de ne pas pouvoir le faire en France", estime Bertrand Swiderski.

Signe d'une tendance favorable, les grandes marques s'engouffrent dans la brèche. Dans certains supermarchés, au rayon vrac, on trouve désormais Barilla, Taureau ailé, Panzani, Ebly, Kinder, Kellogg’s ou encore Carte Noire. "Plus les clients seront nombreux, plus l'offre sera large, avec des produits de différentes qualités et à différents prix", ajoute Célia Rennesson. Pour pousser le développement de la filière, l'Assemblée nationale a récemment voté l'instauration de 20% de vrac dans les supermarchés d'ici 2030.

La marge de progression est significative: selon une étude Feedback publiée en décembre dernier et citée par le magazine spécialisé Linéaires, un Français sur deux qui ne consomme pas de produits en vrac ne le fait pas.. parce qu'il n'y pense pas.

Jérémy Bruno Journaliste BFMTV