Comment l'Etat pourrait bloquer les ambitions de Couche-Tard sur Carrefour?

Très vite après l'officialisation du projet de "rapprochement amical" entre le canadien Couche-Tard et le français Carrefour, le gouvernement a affiché son hostilité.
"A priori, je ne suis pas favorable à cette opération", a déclaré le ministre de l'Economie Bruno Le Maire mercredi soir sur France 5, érigeant Carrefour en "chaînon essentiel dans la sécurité alimentaire des Français, dans la souveraineté alimentaire".
"Je suis favorable à ce qu'il n'y ait pas de remise en cause de l'actionnariat actuel de Carrefour et qu'il puisse poursuivre sa stratégie, donc opposée à un rachat", a complété jeudi la ministre du Travail Elisabeth Borne, qui pense "important que Carrefour soit préservé dans sa stratégie".
Un décret déjà utilisé
Ce n'est pas la première fois que l'Etat s'oppose a priori à un projet de fusion qui concerne un fleuron français. Mais dans la plupart des cas, lorsqu'il s'agit d'entreprises 100% privées, l'Etat n'a aucun moyen de pression ni d'interdiction.
Reste qu'il dispose d'une nouvelle arme mise en place depuis le début de la pandémie afin d'éviter des raids hostiles ou non sur des entreprises stratégiques nationales ou sensibles. Il s'agit du décret renforçant le contrôle des investissements étrangers, une mesure censée être provisoire mais qui a été prolongée d'un an, en décembre dernier, jusqu'au 31 décembre de cette année.
Il "y a un décret sur le contrôle des investissements étrangers en France qui nous permet de donner ou non notre accord à des opérations de ce type-là" a ainsi souligné Bruno Le Maire. Ce décret a d'ailleurs déjà été appliqué pour bloquer en décembre dernier l'offre de rachat de la société spécialisée dans les instruments de vision nocturne pour l'armée, Photonis, par l'américain Teledyne.
Un veto risqué
Précisément, ce décret a été signé le 22 juillet dernier, il permet "l'abaissement temporaire du seuil de contrôle des investissements étrangers dans les sociétés françaises dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé". Ce qui est le cas de Carrefour dont l'activité est en plus considérée comme stratégique.
D'abord limité aux domaines de la défense ou de la sécurité, ce droit de blocage a été progressivement étendu à l'énergie, aux transports, aux télécoms, à la santé, à l'aérospatial, la presse d'information générale, la sécurité alimentaire ou les technologies quantiques. Il s'agit donc d'une sorte de droit de veto.
Il permet dans les faits de bloquer des acquisitions par tout investisseur non européen de plus de 10% du capital d'entreprises opérant dans des secteurs jugés stratégiques, comme la défense, l'énergie, l'aérospatial, les transports ou les biotechnologies. Auparavant, seuil déclenchant un contrôle était de 25%.
Dans le cas d'une prise de participation de plus de 10%, l'investisseur doit notifier ses intentions à la Direction générale du Trésor pour obtenir une autorisation. Elle aura alors 10 jours pour décider si l'opération doit être soumise à un examen plus approfondi, examen pouvant alors déboucher sur un refus.
Evidemment, un tel veto est une arme à double-tranchant et pourrait provoquer des tensions entre la France et le Canada. On rappellera que le pays à la feuille d'érable a laissé faire la vente de son fleuron industriel Bombardier au français Alstom... Il serait en outre mal perçu à l'international à l'heure où la France cherche à séduire les investisseurs étrangers...