Ce rapport très critique contre les cryptos porté par un eurodéputé français et l'Institut Rousseau
C'est un rapport qui risque de faire du bruit dans l'écosystème crypto. Porté par Nicolas Dufrêne, haut fonctionnaire, économiste et directeur de l’Institut Rousseau, le rapport s'intitule "Les crypto-actifs: du mirage à la réalité, penser l'impact financier, économique, écologique et politique des crypto-actifs." Ses grandes lignes seront présentées ce lundi après-midi à Paris par ses six auteurs, dont Jean-Paul Delahaye, auteur de l'ouvrage "Au delà du bitcoin", ou encore Jean-Michel Servet.
Tous avaient signé une tribune en février 2022 demandant à réguler l'écosystème crypto, quelques mois avant les premiers crypto-krachs de l'écosystème, avec l'effondrement de Terra Luna puis la faillite du géant FTX. Il y a quelques mois, ils ont été contactés par le député européen de gauche Emmanuel Maurel, connu pour ses positions critiques à l'égard de l'écosystème, afin de dresser un panorama des cryptos. La publication de ce rapport ne s'inscrit pas dans n'importe quel contexte. Le règlement européen dit MiCa pour "Market in Crypto Assets", visant à réguler le secteur crypto en Europe, n'a pas encore été officiellement validé par le Parlement européen. Le vote des députés européens a été repousé à fin avril.
"Un discours alternatif est possible"
Dans ce contexte, ce rapport de 122 pages consulté par BFM Crypto tombe à point nommé. Son objectif est d'expliquer "aux députés européens les enjeux associés aux crypto-actifs, posés par leur émergence. Nous portons une parole critique pour montrer que le discours du lobby des cryptos n’est pas la seule vérité possible. Un discours alternatif est possible et nécessaire", explique Nicolas Dufrêne à BFM Crypto.
Les limites de la règlementation européenne sont mises en lumière, sous toutes ses formes. "Le projet de règlement européen sur les marchés de crypto-actifs ne suffira certainement pas", peut-on lire. Si le rapport reconnaît quelques avancées, notamment les nouvelles obligations de transparence qui incombent aux acteurs, le règlement n'irait va pas assez loin, n’encadrant pas par exemple la finance décentralisée (DeFi) ou encore les NFT.
"Nous savons déjà qu’il faudra aller vers un Mica 2, la première version ne règlera pas tous les problèmes liés aux cryptoactifs, il faudra une nouvelle règlementation", explique Nicolas Dufrêne.
18 propositions
Le rapport dresse surtout une liste de 18 propositions à destination du personnel politique. "Si nos propositions venaient à être reprises par les députés européens, nous serions très heureux, cela irait dans le sens de l’intérêt général. Il faut des députés plus critiques, mieux informés, qui puissent jouer un rôle dans la règlementation autour de ces questions. Il leur revient de faire les choix qu’ils estiment être nécessaires pour l’intérêt général", considère Nicolas Dufrêne.
Par exemple, le rapport propose d’interdire le système dit de "preuve de travail" qui permet à la cryptomonnaie bitcoin d'exister. Le rapport souligne le "désastre écologique" lié à ce fonctionnement. "Il n’y a plus que le lobby du bitcoin qui défend cela. Je pense que ça on y viendra tôt ou tard", estime Nicolas Dufrene. Comprenez: les économistes veulent interdire le bitcoin. Si la consommation d'électricité dans les fermes de minage est une réalité, les spécialistes du minage mettent l’accent sur un impact environnemental mesuré depuis plusieurs années, notamment grâce aux fermes de minage "vertes" ou l'utilisation des surplus énergétiques qui auraient été perdus sinon.
Autre proposition du rapport, celle d’aller vers la fin de l’anonymat "complet" des crypto-actifs anonymes, comme la crypto monero ou zcash. "Il ne s’agit pas que toutes les transactions soient transparentes, mais qu’on puisse lever l’anonymat lorsque les circonstances l'exigent et que les autorités judiciaires puissent avoir accès quelles que soient les circonstances à l’identité - en cas de besoin- des personnes qui sont à l’origine de ces transactions, c’est une question de sécurité publique. Cela pose un autre principe d’interdire les cryptos qui ont pour objet un anonymat complet", souligne le directeur de l'Institut Rousseau. Selon eux, l'anonymat des cryptomonnaies faciliterait la fraude, les activités criminelles illicites ou encore le financement du terrorisme. On rappellera que la part de l'ensemble des cryptomonnaies associées à une activité illicite s'élève à 0,24 % en 2022 selon la société spécialisée Chainalysis.
A côté de ces propositions, d'autres semblent caduques, comme celle visant à "renforcer et rendre effectives les obligations liées à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (LCB-FT). Le rapport oublie par exemple de mentionner que cette obligation incombe déjà aux acteurs français qui veulent obtenir l'enregistrement dit PSAN (prestataires de services sur actifs numériques) en France, délivré par l'Autorité des marchés financiers (AMF).
Vers une direction précise
Bien que très critique à l’égard des cryptomonnaies, Nicolas Dufrêne entend nuancer ses propos. "Des cryptoactifs bien règlementés avec un usage défini pourraient être utiles, s’il y a des usages qui ne sont pas monétaires ou ne remettent pas en cause l’ordre public ou l'environnemental". Mais au final, le rapport veut aller dans une direction précise.
"Ce qu’on promet à travers les crypto-actifs, la question des frais de transactions, les transactions à l’étranger, la désintermédiation du système face aux banques... Cela pourrait être réalisé avec beaucoup plus d’efficacité tout en gardant ce caractère de bien commun avec des monnaies digitales de banques centrales, véritablement accessibles aux citoyens", souligne ce dernier.
Or pour ce dernier, les problèmes liés à l'émergence des cryptomonnaies doivent être connus de tous. Mêmes les "acteurs les plus raisonnables dans l’écosystème des crypto-actifs le comprennent parfaitement", selon Nicolas Dufrênes. Ce dernier explique notamment s'entretenir régulièrement avec des acteurs de l'écosystème crypto. Par exemple, il s'est récemment entretenu avec l'investisseur crypto Julien Bouteloup, avec qui il partage certaines convictions, comme le fait que le système dit de "preuve de travail" (celui du bitcoin) serait désuet.