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"C'était un acte politique fort": le député Christophe De Beukelaer payé un an en bitcoin revient à l'euro

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Pour faire "bouger les lignes", Christophe De Beukelaer est devenu le premier député au monde à "recevoir" son salaire en bitcoin en 2022. Mais il ne renouvellera pas l'expérience cette année.

Le député belge du Parlement de la région Bruxelles-Capitale Christophe De Beukelaer a converti son salaire en bitcoin tout au long de l'année 2022, malgré les fortes perturbations de l'écosystème crypto. Sur BFM Crypto, l'unique député payé en bitcoin est revenu sur les conséquences de cet "acte politique", notamment en Belgique. Christophe De Beukelaer n'a pas souhaité renouveler l'expérience cette année, mais compte bien se battre pour développer l'écosystème crypto en Belgique et à l'international.

Quand avez-vous découvert le bitcoin?

Christophe De Beukelaer: C'était 2017, au départ en tant qu’objet de spéculation. Puis des personnes m’ont ouvert l’esprit sur la promesse du bitcoin, sur ses fondamentaux. Pour autant, je ne suis pas un bitcoin maximaliste, je pense que le bitcoin a un rôle particulier mais que c’est aussi le cas d’autres cryptomonnaies. Dès 2020, je voulais porter le projet du bitcoin politiquement, en questionnant le gouvernement belge, et en organisation différentes conférences. Mais j’ai j’étais face à un mur. J’ai donc décidé de poser un acte politique fort, en choisissant de recevoir mon salaire en bitcoin pendant un an sur l’année 2022.

Le Parlement belge vous a payé en bitcoin?

J’ai fait cette demande, mais cela a été refusé. Je m’y attendais (rires). Du coup, je recevais mon salaire en euros et à la fin du mois je l’envoyais sur une plateforme d’échanges belge pour le convertir en bitcoin. Ce n’était pas un acte financier c’était politique, j’ai converti mon salaire et je le gardais sur une clé ledger. Aujourd’hui, je dispose donc d’une épargne en bitcoin.

L’année 2022 a été particulièrement mouvementée, le bitcoin ayant perdu plus de 70% de sa valeur. Selon le média belge L’Echo, vous avez perdu 27.000 euros sur l'année 2022, soit 37,5% de votre salaire annuel.

Je ne confirme pas ce chiffre. J’ai lissé mon investissement à la fin de chaque mois et diminué mon risque. Si je calcule en euros, on peut dire que j’ai fait une mauvaise affaire, mais si je calcule en bitcoin, alors ce n’est pas une mauvaise affaire. Aujourd’hui, on prend toujours comme référence l’euro ou le dollar pour regarder son salaire, mais est-on si sûr de la stabilité de l’euro et du dollar? Pour la même quantité d’or, il vous faut 6,6 fois plus d’euros aujourd’hui qu’il y a 20 ans. Donc si votre référence c’est l’or, votre salaire perçu en euro a perdu 85% de sa valeur en 20 ans. Voilà des questions qu’il faut se poser et que l’avènement des cryptos permet de poser. Si j’avais voulu faire un acte financier, je m’y serais sans doute pris autrement, ici c’était un acte politique. Cette épargne je la garde sur le long terme, car je crois aussi à la remontée de cet écosystème. Avoir reçu mon salaire en bitcoin pendant un an a fait bouger les lignes.

Justement, qu’est-ce qui a changé en Belgique?

En Belgique, j’ai mis ma crédibilité en jeu. J’ai beaucoup échangé avec les députés belges à qui j’ai pu expliquer les fondamentaux, cela prend du temps. Il n’y a pas de mouvement majeur mais les idées font leur chemin. J’ai cru comprendre que les grands partis belges ont lancé des réflexions sur les cryptomonnaies: comment les encadrer, faut-il être pour ou contre?… Cela a permis de mettre Bruxelles et la Belgique sur la carte des cryptomonnaies. Je travaille aussi à ce que des acteurs étrangers viennent aussi en Belgique, comme l’ont fait Binance ou Crypto.com en France par exemple.

Quelles idées avez-vous voulu défendre avec ce projet?

On m’a souvent dépeint comme un crypto député. Moi, j’ai envie d’être un député de la finance juste. Je pense que le monde financier est injuste, avec notamment 2 milliards de personnes débancarisées, très peu de personnes qui ont accès aux marchés financiers. La finance a un rôle à jouer dans l’économie et je pense que les cryptos et le bitcoin peuvent améliorer le monde financier. La première idée, c’est la liberté financière. Je suis très inquiet de voir l’avènement des monnaies numériques de banque centrale et la restriction du cash. C’est un outil dangereux pour des pouvoirs plus autoritaires. Pour la survie de nos démocratie, une monnaie incensurable est importante. La deuxième idée, c’est la lutte contre notre modèle de croissance. Je suis un écologiste pragmatique. Dans un monde aux ressources finies, créer de l’euro comme les banques centrales le font depuis 30 ans revient à inciter les acteurs à produire et à consommer toujours plus. C’est là que le bitcoin, comme monnaie mathématique sur laquelle l’affectif humain n’a pas de prise, est intéressant. Les cryptomonnaies peuvent s’ajouter aux autres formes de monnaie, le bitcoin peut être une réserve de valeur si on le décide. Enfin, je pense qu’il faut lutter contre l’inculture financière. Dès l’école, il faut des cours concrets de gestion financière, de son budget. La connaissance financière est un levier majeur de l’émancipation sociale.

Pensez-vous que le bitcoin doit devenir une monnaie légale dans des pays européens, au même titre qu’au Salvador?

Je ne pense pas que cela devrait être une monnaie légale du jour au lendemain. Si l’on permet à des acteurs de se développer, si on ne met pas des barrières entre les banques et le secteur crypto, je pense que l’adoption va croître organiquement. Je pense que les mentalités ne sont pas prêtes à cela, mais qu’il y aura de plus en plus de biens et services que l’on va pouvoir payer en bitcoin et en crypto. Mais je ne suis pas sûr qu’obliger toutes les entreprises à accepter le paiement en crypto soit la meilleure des idées. Je pense qu’à long terme l’on va vers un monde avec une grande concurrence des monnaies. La monnaie monopole, ce sera fini. Alors comment cela va s’organiser d’ici là? Je n’en sais rien, mais il y a des fondamentaux qui font sentir que c’est vers là que nous devons aller.

Vous avez décidé de recevoir votre salaire en euro cette année. Pourquoi ne pas avoir renouvelé l’expérience?

C’était un acte politique et pas financier. Je vais continuer à mettre une partie de mon épargne en crypto, mais ce n’est plus l’affaire du grand public, l’acte politique était public et s’est terminé le 31 décembre.

Préparez-vous d’autres actes politiques forts?

Je travaille sur quelques projets en lien avec les cryptos, qui devraient être significatifs, mais je ne peux pas encore en parler. Ce que je peux seulement dire, c’est que je vais faciliter la vie des acteurs crypto en Belgique, faire en sorte que les ponts entre le monde financier traditionnel et de la finance décentralisé soient clarifiés. Par ailleurs, je souhaiterais que les réflexions continuent au niveau national sur la régulation européenne.

Justement, que pensez-vous de la règlementation européenne MiCa, qui devrait rentrer en vigueur en 2024 en Europe?

Il faudra être vigilant sur sa mise en application. Je pense qu’il faut réguler les acteurs centralisés, surtout lorsque l’on voit ce qu’il s’est passé avec FTX. Il faut les réguler car ils détiennent les avoirs des citoyens et ils ne doivent pas en faire n’importe quoi. Ici, MiCa apporte une série d’avancées sur la façon de contrôler ces acteurs. En revanche, je ne vois pas d’un très bon œil les restrictions de MiCa en ce qui concerne les stablecoins. Il y a un risque pour la souveraineté européenne. Par ailleurs, il faut une régulation plus ouverte, plus flexible, il faut que ces textes permettent l’innovation. De même, la règlementation TFR (qui vise à lutter contre le blanchiment d'argent, NDLR) impose des règles trop restrictives sur la façon dont on peut garder ses cryptos sur des portefeuilles cryptos. Cela touche au cœur du projet de la crypto qui est la liberté financière. La régulation en Europe sera d’ailleurs au coeur de la deuxième édition de la Brussels Blockchain Week en juin 2023.

Pauline Armandet