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Electricité: ce que devra faire la France pour atteindre son objectif de neutralité carbone d'ici 2035

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Le gestionnaire du réseau de transport d'électricité RTE a présenté ce mercredi la mise à jour de son bilan prévisionnel sur la période 2023-2035 dans le cadre de l'objectif de neutralité carbone de la France.

Il s'agit d'une actualisation nécessaire dans le sillage du récent Fit for 55, objectif européen de réduction des émissions nettes de gaz à effet de serre d'au moins 55% d'ici 2030. RTE a présenté ce mercredi son bilan prévisionnel mis à jour sur la période 2023-2035 dans le cadre de son rapport baptisé "Futurs énergétiques 2050" initialement publié il y a deux ans.

"Cette mise à jour intervient alors que plusieurs paramètres ont évolué depuis 2021", rappelle le gestionnaire du réseau de transport d'électricité qui cite le contexte géopolitique et économique mondial (guerre en Ukraine, crise énergétique), la volonté de la France de renforcer sa souveraineté industrielle et énergétique ainsi que les nouvelles ambitions climatiques de décarbonation.

"Plus que jamais la sortie des fossiles s'impose comme une nécessité alors que la France consomme encore plus de 60% d'énergie fossile. Pour y parvenir, le pays doit nécessairement s'électrifier", précise RTE.
Nicolas de Warren, président de l’Union des industries utilisatrices d'énergie (Uniden) - 05/09
Nicolas de Warren, président de l’Union des industries utilisatrices d'énergie (Uniden) - 05/09
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Trois scénarios déterminés

Comme à son habitude lorsqu'il évoque des perspectives, qu'elles soient à court, moyen ou long terme, RTE a fonctionné par scénarios et en a déterminé trois possibles en l'occurence avec des rythmes différents de consommation, d'électrification des usages et de développement des énergies bas-carbone.

Le scénario A serait le plus souhaitable car il permettrait d'atteindre les objectifs de décarbonation accélérée et de réindustrialisation en 2030 et 2035. Il se caractérise par une consommation d'électricité en hausse (entre 580 et 640 TWh/an en 2035 contre 460 TWh aujourd'hui) grâce à une électrification renforcée et tirée notamment par la mobilité légère et lourde, l'industrie ou encore les data centers dans le secteur tertiaire.

En revanche, les deux autres scénarios sont moins optimaux, voire même problématique. Dans le cas du scénario B, les objectifs climatiques et de réindustrialisation seraient quand même atteints... mais avec un retard de trois à cinq ans.

Le scénario C a quant à lui été nommé "mondialisation contrariée" et désignerait une situation dans laquelle les tensions macroéconomiques et géopolitiques actuelles se prolongeraient durablement sur dix ou quinze ans avec des une croissance faible, des taux d'intérêt et une inflation élevés ainsi qu'une dégradation de la compétitivité industrielle française.

Efficacité énergétique, sobriété, renouvelables et nucléaire

Ces quatre termes constituent les quatre leviers essentiels que devra mobiliser simultanément et dès à présent la France afin d'atteindre ces objectifs rehaussés en 2030 et 2035, "aucun levier ne pouvant être abandonné". En ce qui concerne l'efficacité énergétique, celle des rénovations thermiques doit augmenter, tout comme leur volume, ce qui permettrait d'économiser entre 75 et 100 TWh chaque année. RTE préconise aussi la poursuite des "gestes simples" encouragés lors de l'hiver dernier dans le cadre du plan sobriété et qui permettraient à terme d'économiser jusqu'à 25 TWh en 2035. L'ajout de changements de comportements majeurs, une sorte de sobriété structurelle, pourrait porter les potentielles économies d'énergie à 60 TWh.

"C'est facile nulle part mais c'est accessible partout", résume le président du directoire de RTE Xavier Piechaczyk au sujet des quatre leviers.

La ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher n'a de cesse d'insister sur l'importance de ces deux moyens de production d'électricité combinés: le renouvelable et le nucléaire. Sans surprise, le gestionnaire plaide pour une accélération importante de la production d'électricité renouvelable (solaire, éolien terrestre et offshore) pour la faire osciller entre 270 et 320 TWh, soit une multiplication par quatre. "Ces objectifs sont très ambitieux mais atteignables", estime Xavier Piechaczyk qui s'appuie sur des comparaisons avec les voisins européens. Enfin, il fixe un objectif ambitieux de 400 TWh de production nucléaire annuelle mais mentionne un volume moyen de production de l'ordre de 360 TWh à l'horizon 2030-2035 en guise d'hypothèse prudente et atteignable.

Près de 200 milliards d'euros de dépenses en moins dans les énergies fossiles

Optimiste sur la sécurité d'approvisionnement dans les prochaines années, RTE insiste cependant sur l'indispensable développement de la modulation de la demande ou encore des batteries qui permettraient de gagner environ 5 GW de marge. "La poursuite du développement des interconnexions avec les pays voisins pourra permettre à la France de demeurer une grande exportatrice d'électricité bas-carbone, contribuant à décarboner ses voisins et à améliorer la balance commerciale", ajoute le gestionnaire.

En effet, il s'agit là d'un aspect essentiel de la stratégie d'électrification des usages. En limitant la consommation de pétrole et de gaz, celle-ci diminue le déficit commercial lié à ces hydrocarbures à travers une économie d'environ 190 milliards d'euros de dépenses consacrées aux énergies fossiles et une tonne et demie de CO2 d'émissions évitées d'ici 2035. L'année dernière, la facture énergétique a atteint 116 milliards d'euros alors qu'elle se situait à une cinquantaine de milliards d'euros en moyenne sur les dix dernières années. Mais en parallèle, des investissements massifs doivent être réalisés. Concrètement, il faudrait les tripler d'ici 2035 pour les situer entre 25 et 35 milliards d'euros chaque année.

"Le coût brut de long terme de production du MWh devrait en revanche rester contenu, c'est-à-dire du même ordre qu'aujourd'hui."

Des transformations dans l'industrie, le chauffage, l'hydrogène et le transport

Dans le cadre de l'atteinte de ces objectifs, plusieurs postes de consommation d'électricité vont connaître des changements majeurs ou en tout cas voir leurs orientations sensiblement accentuées. A commencer par l'industrie puisque les grandes zones d'implantation comme Dunkerque, Le Havre ou Fos-sur-Mer devront bénéficier des infrastructures nécessaires pour décarboner leur activité.

A l'échelle des particuliers, le développement des pompes à chaleur devra s'accélérer pour remplacer les chaudières à fioul et au gaz fossile: elles représentent des solutions de premier choix pour réduire significativement les émissions de gaz à effet de serre.

Au coeur de la stratégie de décarbonation de l'économie française, et plus globalement de la société dans son ensemble, la production d'hydrogène requiert également des quantités importantes d'électricité compétitive bas-carbone. Pour finir, les transports joueront aussi un rôle crucial et le gestionnaire RTE se positionne de nouveau en faveur d'une nouvelle infrastructure de recharge, ainsi que son pilotage", pour favoriser et accompagner le développement des modèles électriques, aussi bien pour les véhicules légers que le transport lourd.

Timothée Talbi