Tech&Co
Tech

Wikipedia est de moins en moins consulté par des humains et de plus en plus par des bots (et c'est un danger pour son modèle)

L'encyclopédie en ligne Wikipedia fête ses 15 ans ce mercredi.

L'encyclopédie en ligne Wikipedia fête ses 15 ans ce mercredi. - Lionnel Bonaventure - AFP

L'encyclopédie gratuite et portée par les internautes est prise dans la tempête de l'intelligence artificielle et des chatbots. Elle sert à leur entraînement, mais est ensuite invisibilisée par leur fonctionnement au quotidien, imposant un renouveau?

Les chiffres donnent le vertige. 15 milliards de vues par mois, 64 millions d'articles dans plus de 300 langues, 342 modifications apportées chaque minute... Wikipedia mérite son titre de pilier du savoir sur internet. Et comme l'écrit la Wikimedia Foundation sur son site, "des étudiants aux chatbots, tout le monde y apprend". Mais il semblerait que désormais ce soit surtout les chatbots...

Des visites vampires

Dans un post de blog, l'organisation à but non lucratif revient, par la voix de Marshall Miller, son directeur senior du produit, sur une tendance préoccupante, ou en tout cas significative d'un changement profond.

En mars, la structure derrière Wikipedia indiquait que l'encyclopédie était lourdement sollicitée pour l'entraînement des intelligences artificielles. En avril, il était même question de l'impact des crawlers de contenus (des "robot d'indexation" qui explorent le web pour nourrir les moteurs de recherche ou les IA) sur les projets de Wikimedia.

Face à ces nouvelles sollicitations, pour ne pas dire nouveaux fardeaux, Wikimedia se doit de continuellement améliorer ses outils de détection qui lui permettent de distinguer les crawlers des humains. Car les premiers se perfectionnent et passent de plus en plus souvent pour des internautes de chair et de sang.

Ainsi, explique Wikimedia, en mai, les statistiques montraient une croissance forte du nombre de connexions humaines depuis le Brésil. Après enquête et amélioration des algorithmes de différenciation des types de visiteurs, la structure a déterminé qu'une "grande partie de l'augmentation de trafic inhabituel pour la période de mai à juin provenait de bots conçus pour échapper à la détection".

Un tournant pour internet

En appliquant ces nouvelles méthodes de reconnaissance de bots, Wikimedia annonce qu'au fil des derniers mois, le nombre de visiteurs humains a baissé d'environ 8% par rapport aux mêmes mois en 2024.

"Nous pensons que ces baisses reflètent l'impact de l'IA générative et des médias sociaux sur la façon dont les gens cherchent l'information", explique Wikimedia, "spécialement avec les moteurs de recherche qui fournissent directement des réponses, souvent tirées de contenus de Wikipedia".

Autrement dit, Wikipedia est visité par des bots, qui vampirisent son contenu, puis présentent des réponses grâce à ce contenu, mais sans que les utilisateurs ne se rendent plus sur l'encyclopédie en ligne. D'une certaine manière, les géants de la recherche et des chatbots sont en train de scier la branche sur laquelle ils sont assis.

Pour autant, l'organisation à but non lucratif "accueille à bras ouverts les nouvelles façons dont les gens peuvent accéder à la connaissance", explique Marshall Miller. Mais il rappelle toutefois que les "modèles intelligents, chatbots IA, moteurs de recherche et plateformes sociales qui utilisent les contenus de Wikipedia doivent davantage encourager leurs visiteurs à aller sur Wikipedia, afin que la connaissance gratuite, dont tant de personnes et de plateformes dépendent, puissent continuer à être viable".

Car, l'encyclopédie en ligne est portée par les contributeurs et modérateurs, et par les dons de ses utilisateurs, si Wikipedia devient invisible, le réservoir humain et de ressources qui l'anime ira diminuant.

Pour accompagner ce changement, et aussi tenter de préserver sa visibilité, la Wikimedia Foundation va donc mettre en place plusieurs projets, pour notamment développer un nouveau cadre d'attribution des contenus, pour permettre aux contributeurs de plus facilement modifier un article depuis un mobile, mais aussi pour expérimenter de nouvelles façons d'apporter le savoir "à un public plus jeune qui passe du temps sur d'autres plateformes, comme Youtube, Tiktok, Roblox et Instagram, y compris via des vidéos, des jeux ou des chatbots". Un futur qui s'éloigne du "web historique", et bel et bien un tournant pour internet.

Pierre Fontaine