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"Mettre le physique au second plan": comment les applications de rencontre adoptent l'IA pour se réinventer et redevenir désirables

Un profil sur une application de rencontre

Un profil sur une application de rencontre - JOE RAEDLE / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

A l'heure où les applications de rencontre connaissent une forme de désamour, notamment chez les jeunes, une start-up française tente de les rendre plus désirables grâce à l'IA.

Meetic, Bumble, Grindr ou encore Fruitz, les applications de rencontres ne manquent pas. Il fut un temps où elles avaient la côte, avant d'être petit à petit délaissées par les jeunes adultes, lassés de résultats de moins en moins pertinents et de matches qui n'en sont pas vraiment.

Pour tenter d'inverser la tendance, l'intelligence artificielle fait figure de petite révolution. C'est dans ce cadre que s'est lancée Keez, une application qui veut "mettre le physique au second plan", mais aussi la tendance du "swipe", consistant à glisser à droite ou à gauche un profil apparaissant dans ses suggestions, selon qu'on l'apprécie ou non.

Une IA élaborée avec des psy et des sexologues

Développée par une start-up française, elle propose en effet d'utiliser l'IA et de lui faire confiance une fois un questionnaire rempli. Evidemment la promesse est toujours de trouver la perle rare. Un seul profil est en effet suggéré à l'issue de l'analyse de vos réponses, et celui-ci doit théoriquement être compatible avec le vôtre, ce qui est supposé aboutir à un champ des possibles bien plus large que chez la concurrence.

"L'idée, c'est vraiment de mettre le physique au second plan", détaille Dylan Garineaud, co-fondateur de Keez, "on peut balayer un petit peu tous les concepts que l'on connaît des autres applications de rencontre."

Le bouche à oreille, né de soirées thématiques - dont une au Jamel Comedy Club avec des sketchs et en public - semble fonctionner. Lancer depuis peu, l'application a déjà été téléchargée plusieurs milliers de fois sur le Play Store et l'App Store.

Pour fonctionner, l'utilisateur doit donc répondre à de nombreuses questions parfois très intimes: orientation sexuelle, divorcé ou non, bord politique, religion, nombre d'enfants, langage de l'amour, mais aussi le mode de vie et le statut professionnel, sans oublier la ville. Tout est ensuite étudié par une intelligence artificielle.

"On va utiliser des algorithmes de 'deep learning' pour pouvoir probabiliser (que) deux profils se rencontrent et aient une relation saine," explique Théodore de Lachaux, l'autre fondateur de l'application.

Keez précise également avoir travaillé avec des psychologues et des sexologues afin de proposer un questionnaire cohérent avec une application de rencontre.

L'IA comme argument chez les jeunes adultes?

L'IA comme point central d'une relation amoureuse, c'est un concept qui fait son chemin, et qui plaît à un public jeune adepte des nouvelles technologies. Il n'est donc pas étonnant de voir les grands noms du marché s'y mettre. Car si Keez mise essentiellement sur l'intelligence artificielle pour élaborer son concept, ses concurrents, eux, préfèrent plutôt la voir comme un ajout bienvenu, sans modifier en profondeur leurs atouts déjà disponibles.

Une enquête réalisée par Norton explique que 64% des amateurs de rencontres en ligne se disent prêts à utiliser l'IA comme coach, voyant en cette technologie un moyen d'augmenter leurs chances de trouver l'amour.

Facebook Rencontre propose ainsi d'améliorer sa photo ou sa description de profil grâce à l'IA, mais peut aussi vous suggérer des phrases pour engager une conversation ou des lieux de rendez-vous.

Match Group, qui détient notamment Meetic, Hinge, OKCupid et Tinder, a annoncé vouloir augmenter significativement ses investissements dans l'intelligence artificielle. Des agents IA sont ainsi accessibles afin d'aider les utilisateurs à être moins timides et à mieux comprendre leurs envies. Là encore, des suggestions de messages peuvent être réalisées… avec le risque de rendre les interactions moins réelles.

Des données sensibles collectées

La multiplication des réponses générées par IA peut en effet avoir un impact sur la sincérité des échanges, tout en permettant la collecte de données sensibles: "Cette collecte constante de données soulève d'importantes préoccupations en matière de confidentialité," estimait en début d'année Anastasiaa Babash, chercheuse à l'université de Tartu en Estonie, dans un article du Guardian.

Si la collecte a lieu également dans le cas de Keez, elle est ici utilisée pour permettre un match efficace. Un élément qui s'avère en tout cas convaincant pour le public présent à la soirée à laquelle Tech&Co a participé: "Le fait d'avoir été un peu accompagné par l'IA c'était intéressant et par rapport à ce que j'avais répondu, il y avait une correspondance", s'amuse Rida.

Lenny, de son côté, apprécie l'absence du "swipe": "Là, tu n'es pas obligé de rester tout le temps sur l'application, c'est comme si un de tes amis parlait de toi à quelqu'un d'autre."

Pour Perrine, qui n'est pas une adepte des applications de rencontre, la nouveauté offerte par Keez n'est cependant pas suffisante pour lui faire franchir le pas: "Je pense que je préfèrerais le 'classique', de pouvoir swiper, parce que j'aurais l'impression de ne plus décider. Si c'est une IA, je me dirais que c'est plus elle qui décide pour moi. "Je pense que le but de l'IA, c'est de retirer tous les aléas, et je ne crois pas que ce soit vraiment bien en amour," ajoute Jérôme. Du chemin reste à faire pour convaincre les récalcitrants.

Reste un critère que Keez ne cherche pas à révolutionner: son accès. Gratuite pour les femmes, l'application est en revanche payante pour les hommes, bien plus nombreux à en faire l'usage.

Sylvain Trinel