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Le Royaume-Uni voudrait importer le système d’identification numérique indien et fait craindre "un risque de dérive autoritaire"

Le Premier ministre britannique Keir Starmer (à gauche) et son homologue indien Narendra Modi dans un jardin avant leur réunion bilatérale au Raj Bhavan à Mumbai le 9 octobre 2025.

Le Premier ministre britannique Keir Starmer (à gauche) et son homologue indien Narendra Modi dans un jardin avant leur réunion bilatérale au Raj Bhavan à Mumbai le 9 octobre 2025. - LEON NEAL / POOL / AFP

En visite en Inde, le Premier ministre britannique Keir Starmer s'est intéressé au système d’identification numérique indien pour développer un programme similaire outre-Manche. Omniprésent dans le pays de 1,4 milliard d’habitants, ce système suscite néanmoins de nombreuses critiques.

"Big Brother is watching you... soon". Le Premier ministre britannique Keir Starmer est arrivé mercredi à l’aube à Bombay, deuxième ville indienne, accompagné d’une délégation de grands patrons britanniques. Au programme de cette visite: la production de longs-métrages Bollywood, un programme d’aide sociale soutenu par la prestigieuse Premier League de football, de plus en plus populaire en Inde avec 71 millions de téléspectateurs en moyenne, ainsi que des contrats commerciaux, et surtout… le système d’identification numérique indien.

Lors de sa visite à Mumbai, Keir Starmer s’est ainsi intéressé au système Aadhaar, le programme d’identification numérique de l’Inde qu’il qualifie de "succès retentissant". Il a rencontré Nandan Nilekani, l’un de ses architectes, pour évaluer la pertinence d’un système similaire au Royaume-Uni, utilisable pour des démarches comme l’inscription scolaire et les permis.

Empreintes digitales, reconnaissance faciale et iris

Le Premier ministre britannique a souligné les avantages du modèle indien "pour moderniser" notamment la gestion des prestations sociales, mais a reconnu les critiques sur l’exclusion de certaines minorités et les risques de sécurité. L'identification numérique indienne concerne désormais la quasi totalité du 1,4 milliard d’Indiens et traite jusqu’à 80 millions de transactions par jour.

Des passants devant une affiche électorale du Bhaaratiya Janata Party (BJP) de Narendra Modi à Varanasi, dans l'État de l'Uttar Pradesh, ce samedi 16 mars.
Des passants devant une affiche électorale du Bhaaratiya Janata Party (BJP) de Narendra Modi à Varanasi, dans l'État de l'Uttar Pradesh, ce samedi 16 mars. © Niharika KULKARNI/AFP

Concrètement, Aadhaar est un système biométrique géant en Inde, attribuant un numéro unique à 12 chiffres, relié aux empreintes digitales, photos d'identité et iris. Il est indispensable pour accéder à de nombreux services publics et privés, "facilitant l’authentification rapide des citoyens", selon les autorités.

Pourtant, ses détracteurs dénoncent une protection insuffisante des données personnelles, ainsi qu'une exclusion d'une partie de la population, notamment pour les plus pauvres, qui se voient refuser soins médicaux ou aides sociales faute de pièce d’identité.

Les opérateurs téléphoniques et banques ont également menacé de fermer les comptes non liés à un numéro Aadhaar, même si la Cour suprême indienne a, de son côté, affirmé que cela ne doit pas être obligatoire pour les services privés ou l’éducation. Des militants ont aussi dénoncé son usage pour priver certains électeurs musulmans du droit de vote dans le nord du pays.

Des critiques au Royaume-Uni

Partisan d'un système similaire outre-manche, Keir Starmer a expliqué lors de son voyage à Mumbai que la carte d’identité numérique sur smartphone était nécessaire pour "remédier au fait que trop de personnes peuvent venir travailler illégalement" en Grande-Bretagne. Il a précisé que la présentation de cette carte deviendrait obligatoire pour les migrants afin de prouver leur droit à travailler, et que le gouvernement encouragerait également d’autres personnes à l’utiliser car "ce serait un bon passeport".

S'adressant aux journalistes, le locataire du 10 Downing Street a déploré les démarches administratives compliquées: "Je ne sais pas combien de fois vous avez dû chercher trois factures dans le tiroir du bas pour inscrire vos enfants à l'école, ou faire une demande pour ceci ou cela". Il estime que "nous pourrions en tirer un avantage considérable".

Il a aussi rappelé que l’Inde avait "déjà mis en place un système d'identification et que cela avait été un franc succès", ajoutant que "l'une des réunions à laquelle je participerai portera sur l'identification".

Des personnes manifestent contre le programme d'identification numérique du gouvernement et la politique fiscale sur les successions pour les agriculteurs alors qu'elles se rassemblent devant la conférence du Parti travailliste à Liverpool, au Royaume-Uni, le 28 septembre 2025.
Des personnes manifestent contre le programme d'identification numérique du gouvernement et la politique fiscale sur les successions pour les agriculteurs alors qu'elles se rassemblent devant la conférence du Parti travailliste à Liverpool, au Royaume-Uni, le 28 septembre 2025. © RASID NECATI ASLIM / ANADOLU / Anadolu via AFP

Mais les justifications du premier ministre ne semble pas avoir trouvé écho dans l'opnion publique britannique. Le projet de carte d’identité numérique suscite aujourd'hui un vif débat au Royaume-Uni, principalement en raison des questions de confidentialité.

Des groupes de défense des libertés civiles s’inquiètent déjà du stockage des données personnelles sur une application gouvernementale, craignant une surveillance accrue et "un risque de dérive autoritaire". Une pétition contre ce projet a réuni plus de 2,8 millions de signatures, témoignant d’une forte opposition sociale et politique.

Par ailleurs, certains craignent que ce système n’exacerbe les difficultés des groupes marginalisés, notamment les migrants sans papiers, en augmentant leur exclusion sociale et leur précarité. Des voix politiques, y compris au sein de l’opposition conservatrice, dénoncent une mesure inefficace contre l’immigration clandestine et un "stratagème cynique" pour renforcer le contrôle étatique.

Raphaël Raffray