"L’impression d’être coupé du monde": pourquoi le vieux téléphone à clapet séduit de plus en plus de jeunes
Cliquer 4 fois sur le 9 pour avoir la lettre "s", avoir le "Snake" comme seule occupation et ne pouvoir qu’appeler ou envoyer des SMS (en les comptant sur les doigts d’une main)… Ce qui était la norme il y a une vingtaine d'années - et ressemble désormais à un cauchemar pour certains utilisateurs - est pourtant devenu une véritable expérience de vie, en particulier chez les plus jeunes.
Les téléphones à clapet ont en effet fait leur retour depuis plusieurs mois dans les mains des adolescents ou des jeunes adultes. Au-delà de l’aspect esthétique et de l’attrait que génèrent ces produits vintage, en plein dans la tendance des années 2000, l’objectif est simple: changer son rapport aux écrans et aux réseaux sociaux.
L’idée n’est pas forcément de changer radicalement sa consommation mais d’expérimenter une déconnexion temporaire pour aller vers une utilisation plus raisonnable de son téléphone.
"L'emprise qu’ont les réseaux sociaux sur moi"
Pas question pour beaucoup de remplacer leur smartphone par un téléphone à clapet. L’expérimentation est plus graduelle. Une semaine, 15 jours ou un peu plus. Paul, 21 ans, a par exemple fait l’essai de passer une semaine avec un téléphone à clapet.
Une tentative née après l’observation du nombre d’heures qu’il passe au quotidien devant son écran de téléphone: "Je suis parti d’un constat clair: je passe quatre heures par jour sur mon téléphone à scroller sur Instagram et TikTok et parfois sans trop savoir pourquoi, juste par ennui et parce que je ne sais pas quoi faire d’autre."
Pourtant créateur de contenus sur les réseaux sociaux, Paul a donc fait le choix de tout couper. Mais il a tout de même décidé de partager chaque jour une vidéo sur TikTok pour montrer l’avancée de son expérience, en filmant avec une caméra classique et en mettant en ligne ses enregistrements via son ordinateur.
Des vidéos vues plusieurs centaines de milliers de fois. "Ça a été une manière de sensibiliser les gens autour de moi. Certes c’est paradoxal d’avoir mis ce challenge sur Instagram et TikTok mais c’est là où on peut toucher le plus de personnes concernées. Si je sors un livre ou que je mets des affiches dans la rue, les gens de mon âge ne vont pas être touchés", affirme Paul.
"Même si on veut passer un message aux gens de limiter leur consommation des réseaux sociaux, il faut passer par ces médias-là", poursuit le vidéaste.
Un marché en plein essor
Certains fabricants continuent donc aujourd’hui à surfer sur la vague des téléphones à clapet, et plus généralement des "feature phones" (téléphones mobiles possédant uniquement les fonctions essentielles). HMD développe et commercialise par exemple plusieurs modèles de feature phones, sous la licence de marque Nokia.
Et l’entreprise a bien compris l’engouement généré par ce type de téléphones. "Les features phones sont populaires auprès des consommateurs car ils tiennent aisément dans une poche et possèdent une batterie longue durée, sur laquelle les clients peuvent compter pendant plusieurs jours", explique Rémi Girault, business manager chez HMD France.
"Ce sont des appareils parfaits pour revenir à l’essentiel et faire une mini digital detox", suggère le directeur commercial.
Internet regorge ainsi d’offres pour des téléphones vintage, et certaines entreprises se sont même spécialisées dans les reliques mobiles de ces dernières décennies. Djassem Haddad a fondé il y a plus de 10 ans Vintage Mobile, un site mettant en vente des téléphones reconditionnés de nombreuses marques, de Nokia à Motorola en passant par BlackBerry.

Et le chef d’entreprise a lui aussi vu un engouement de plus en plus prononcé pour ces anciens modèles, vendus entre 30 et 400 euros: "On a des ventes en constante augmentation. Ça monte crescendo depuis 2013. Les jeunes sont de plus en plus clients, ils se servent de ces téléphones comme deuxième appareil ou simplement pour le fun. Mais il y a surtout cette envie de se rattacher à des valeurs un peu anciennes."
Customisation obligatoire ou presque
Vintage Mobile propose même certains modèles personnalisés, comme les mythiques Nokia 3310 ou 6110, avec des impressions hydrographiques qui permettent de donner un aspect carbone à un téléphone quelque peu vieillot.

Car l’attrait des téléphones à clapet s’explique aussi par son côté instagrammable. Sur TikTok ou Instagram, les vidéos de customisation de téléphones portables se sont ainsi multipliées ces derniers mois. Les possesseurs de ce type de mobiles rajoutent en effet strass, stickers et chaînettes pour rendre leur appareil encore plus pimpant.
Une personnalisation qui renvoie directement à l’"aesthetic" des années 2000. Le début du millénaire fait en effet un retour en force dans notre quotidien, et ce n’est pas dû au hasard: la nostalgie d’une époque donnée arrive en moyenne 20 à 30 ans après la dite époque. "C’est ce qu’on appelle la tendance du retro-branding, c’est-à-dire aller chercher des produits du passé pour les remettre au goût du jour. On l’a vu partout: prêt-à-porter, automobile, téléphonie… La nostalgie repose beaucoup sur l’idée d’un retour au bon sens et à l’authentique", explique Alexandra Vignolles, chercheuse à INSEEC et spécialiste de la nostalgie.
Une expérience bénéfique?
Mais ces déconnexions et ce retour à l’authentique ont-ils des effets sur le long terme? Pour Paul, l’expérience a en tout cas été bénéfique. "Les premiers jours, j’avais l’impression d’être coupé du monde, car notre premier réflexe c’est de regarder ce qu’il se passe avant même d’être levé. Mais rapidement on réapprend à apprécier les interactions. J’étais super heureux de recevoir un SMS, je répondais tranquillement. Aujourd’hui, on est submergé par les notifications et on n’apprécie plus les petites communications."
Le vidéaste a même décidé depuis la fin de son challenge d’enlever toutes les notifications de son téléphone, hors appels et SMS: "C’est un petit geste mais ça a changé beaucoup de choses dans mon rapport avec les réseaux sociaux. L’idée, ce n’est pas de ne plus avoir de divertissement. Il ne faut pas être radical, juste ne pas devenir accro."