"Un cercle vertueux”: des data centers pour chauffer des habitations ou faire baisser son empreinte carbone

Chauffer des habitations avec des serveurs informatiques? Certains s'y sont déjà mis. En Europe, les initiatives s’accélèrent même pour mieux exploiter ces gros générateurs de chaleur. Selon le Wall Street Journal, l'Union européenne planche sur une nouvelle directive sur l'efficacité énergétique pour obliger les exploitants de data centers à étudier la possibilité d’utiliser la chaleur émise par leur système pour chauffer les habitations et les bureaux.
Les défis sont nombreux. Amazon, Microsoft et Apple ont annoncé leur intention de connecter d'importants data centers à des systèmes de chauffage urbain en Irlande, au Danemark et en Finlande. Un projet mis en pause à cause de la crise énergétique. De son côté, Google a fait savoir qu'il évaluait les possibilités de récupération de la chaleur de ses centres de données situés en Europe. Enfin, Facebook récupère la chaleur de son data center au Danemark.
Et la France n’est pas en reste, le gouvernement a mis en place des incitations fiscales et des aides pour les data centers qui valorisent la chaleur produite car ces systèmes sont extrêmement énergivores. Des organismes comme l'Agence de la transition écologique (Ademe) accompagnent les entreprises du secteur pour développer leur système.
Des serveurs pour chauffer la douche
C’est le cas de Neutral-IT qui a eu droit à une subvention après la présentation d’un dossier.
Christophe Perron est le cofondateur de la société Neutral-IT, anciennement Stimergy, cofondée en 2019, qui est un hébergeur d’application numérique alternatif. Au pied de l'arrêt de RER B Laplace, à Arcueil, se trouve un immeuble d’habitation de 30 logements, construit il y a deux ans. Le bâtiment abrite, dans ses sous-sols, un système assez inhabituel pour le lieu: des serveurs informatiques qui fournissent 50 à 60% de l’eau chaude aux habitants.
Direction les niveaux inférieurs, à côté des garages, plus exactement dans la chaufferie. Dans la pièce, il fait chaud et un bruit de fond incessant se fait entendre. Dans le fond, une caisse grise imposante, qui n’est rien d’autre qu’un mini data center. A l’intérieur, 8 serveurs qui hébergent les données et les applications et les sites web numériques d’entreprises .
Concrètement, les serveurs émettent de la chaleur, qui est récupérée pour fournir l’eau chaude. "Dans le détail," poursuit Christophe Perron, "les serveurs sont immergés dans une huile qui vient absorber la chaleur. Cette huile chauffe et, ensuite, par un jeu d’échangeur puis par conduction, la chaleur passe de l’huile à de l’eau. Elle est envoyée dans les tuyaux qui est ensuite stockée dans un ballon. Les habitants tirent donc leur eau chaude du ballon". De cette manière, le mécanisme récupère de l’énergie qui ne serait autrement pas utilisée.

Le système est "un cercle vertueux" puisqu’en puisant l’eau chaude préchauffée, les habitants viennent refroidir les serveurs. Christophe Perron affirme que les occupants réduisent leur facture annuelle de 150 à 200 euros en comparaison avec un système classique. Installé au moment de la construction de l'immeuble, le bailleur social a signé un contrat avec Neutral-IT. L’entreprise compte aujourd’hui 14 installations comme celles-ci dans des immeubles notamment en région parisienne mais aussi à Lyon ou à Lille.
Le cofondateur constate une hausse des demandes des bailleurs, "mais les entreprises semblent encore frileuses à l’idée d’adopter ce système". Il prédit pourtant qu’avec l’augmentation des prix de l’énergie, les demandes devraient s'accélérer très rapidement.
Réduire son empreinte carbone
Même si les entreprises n'ont pas encore franchi le pas, certaines apparaissent comme pionnières. A Paris, près de la place de la Bastille, un immeuble de trois étages totalement vitré se cache derrière une façade discrète. C’est ici, dans ses nouveaux locaux, que la société de production et d’animation française TeamTo vient d’emménager. Tout le projet a été pensé "pour réduire de 63% l’empreinte carbone de l’entreprise", s’enthousiasme Guillaume Hellouin, fondateur de TeamTo. Il a fondé son studio d’animation il y a maintenant 18 ans qui produit des séries et des longs-métrages en animation 3D pour les enfants et les familles.
L’idée avec ces nouveaux espaces est de "créer un environnement favorable pour le développement des talents, mais aussi de maîtriser notre empreinte carbone", précise le fondateur. Après un petit (grand) tour des lieux, rendez-vous dans le cœur du réacteur: la salle des data centers. TeamTo possède ses propres centres de données qu’elle a choisi de rassembler avec les unités centrales des postes de travail "pour ne pas avoir de chaleur à dissiper".
Adopter le système le plus adapté
Au lieu de faire appel à un prestataire extérieur, avoir ses propres data centers "sert à la fois à maîtriser sa consommation énergétique, d’avoir la main dessus et de pouvoir assurer la sécurité des données", assure Jean-Baptiste Spieser, directeur technique de TeamTo.
Surtout, le studio d’animation a fait le choix de ne pas réinjecter la chaleur émise par ses data centers dans son système de chauffage. L’équipe a plutôt opté pour le refroidissement des serveurs appelé free cooling. "On ne récupère pas l’énergie produite par les data centers car en région parisienne cela n’a pas vraiment de sens, il y a très peu de jours dans l’année où l’on a besoin de chauffer. Ce serait un système très lourd à mettre en place pour une utilisation très marginale", explique Guillaume Hellouin.

Il reprend d’ailleurs les recommandations de l'Ademe qui conseillent d'utiliser le free cooling. Cette technique consiste à capter l’air ambiant et à l’utiliser sans refroidissement pour faire baisser la température du data center. Tant que la température extérieure est inférieure ou égale à 15 degrés, le free cooling est optimal. Lorsque la température augmente, TeamTo utilise le réseau froid de la mairie de Paris qui récupère l’eau de la Seine pour générer du froid. "Donc ce système est très optimisé en termes de consommation énergétique", poursuit le fondateur.
Avant d’installer un tel mécanisme, le directeur technique a évidemment fait des simulations. Alors quand l’entreprise a besoin de se chauffer, elle utilise le réseau chaud de la mairie de Paris qui produit de la chaleur à partir de déchets ménagers. TeamTo a été récompensé pour ses efforts puisque l'entreprise a été lauréate de deux appels à projets.
Il y a quelques années les serveurs de TeamTo, raccordés au système de Neutral-IT, servaient aussi à chauffer la piscine de Butte aux cailles, dans le sud de Paris. Et de nouveaux projets continuent de voir le jour. Le 16 septembre dernier, Smirec, le syndicat de chauffage urbain de Seine-Saint-Denis a signé un accord avec Equinix, géant américain des data centers. La chaleur produite par le nouveau data center de l'entreprise servira à chauffer en partie la future ZAC de la Plaine Saulnier et le centre aquatique olympique de Saint-Denis en 2024.