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"Les offres à 9-12 euros pourraient revenir à 15-20 euros": le retour à 3 opérateurs (si SFR finit par accepter) va-t-il vraiment faire mal au portefeuille?

Altice est accusé de ne pas avoir respecté certains des engagements liés à la cession de la filiale Outremer Telecom et pris à l'occasion du rachat de SFR.

Altice est accusé de ne pas avoir respecté certains des engagements liés à la cession de la filiale Outremer Telecom et pris à l'occasion du rachat de SFR. - Philippe Huguen - AFP

En l'espace d'une grosse douzaine d'heures, le marché français des opérateurs est passé d'un premier pas officiel vers une consolidation potentielle à un nouveau point mort. Le refus "immédiat" par Altice de l'offre de rachat sonnant comme un cinglant "peut mieux faire". Mais Altice a-t-il le choix? Et qu'est-ce que cela pourrait changer pour les utilisateurs?

"Bouygues Telecom a pris connaissance de la décision du groupe Altice de rejeter l’offre conjointe non engageante remise hier par Bouygues Telecom, Orange et Free-Groupe Iliad." La réponse est laconique, loin de l'enthousiasme serein d'hier, 14 octobre, au soir.

A peine une grosse douzaine d'heures après l'annonce du dépot d'une offre de rachat, Altice a indiqué l'avoir "immédiatement rejetée" par la voix d'Arthur Dreyfuss, son Président-directeur général. Fin de l'affaire ? Ou plutôt un premier round?

Une marge de manoeuvre plutôt étroite pour Altice

Interrogé par nos soins avant l'annonce du refus, et à nouveau un peu plus tard, Stéphane Beyazian, analyste pour Oddo BHF, rappelle ainsi que les trois opérateurs alliés "ne proposent pas exactement de racheter l'entièreté d'Altice France". L'offre de 17 milliards d'euros pourait être proche de la valeur estimée par les créanciers.

Mais, du côté du "fondateur, Patrick Drahi, il est probable que cet accord soit moins favorable que ce qu'il a eu l'habitude de négocier dans son histoire", continue-t-il. Le propriétaire d'Altice aurait donc envie de faire monter les enchères, face à une proposition qui a vu les acheteurs potentiels "se positionner plutôt au minimum". Une première offre à laquelle "il n'est pas impossible qu'il puisse y avoir une rallonge", envisage l'analyste. Une prudence que Stéphane Beyazian pondère aussitôt en rappelant que, par ailleurs, il "n'y a pas d'autres acheteurs non plus." Autrement dit, Patrick Drahi a une marge de manoeuvre mais n'a pas beaucoup de choix.

Des acheteurs "en position de force"

De facto, le trio d'opérateurs est en "position de force", aux yeux de Stéphane Beyazian. D'autant que le temps pourrait jouer contre le dirigeant d'Altice France. En effet, à en croire une information de La Tribune, démentie par le maison-mère de SFR, les créanciers d'Altice pourraient avoir passé un accord pour une vente dans les deux prochaines années, ce sans quoi, Patrick Drahi pourrait perdre le contrôle de la direction d'Altice France.

Contacté par BFM Tech & Co, l'opérateur n'a pas souhaité s'exprimer sur la question du rachat, pas plus que Bouygues Telecom, qui paraît être l'acteur moteur de cette triple alliance depuis l'annonce d'hier soir.

Il semble donc que nous entrions dans une phase d'attente, le consortium constitué par Bouygues Telecom, Free et Orange devant maintenant soit faire une nouvelle proposition, soit attendre que la roue tourne.

La question est désormais de savoir combien de temps va durer cette seconde phase d'observation. Si elle devait durer SFR réussirait-il à inverser une tendance générale qui, depuis une dizaine d'années, l'a vu perdre des clients, enchaîner les problèmes de qualité de service, et traverser des turbulences fortes. Turbulences qui appartiennent au passé, à en croire Arthur Dreyfuss qui déclarait à l'AFP, il y a une quinzaine de jours, que "les vents contraires sont derrière nous".

Un marché à trois opérateurs sera-t-il moins intéressant pour les utilisateurs?

Reste une question que tout le monde se pose: les clients de SFR et de tous les autres opérateurs ont-ils intérêt à cette vente? Ont-ils intérêt à ce que la France passe d'un marché porté par quatre opérateurs à un pas de trois?

Depuis l'été dernier de nombreux analystes, dont ceux de J.P. Morgan, envisagent ce rachat éventuel comme une source de consolidation du marché, et de renforcement de la position de Bouygues Telecom, principal investisseur dans l'offre refusée par Altice. Même si objectivement ce rachat serait bénéfique à Free et Orange également.

Ce que les trois acheteurs évoquaient de manière un peu plus détaillée dans leur communiqué hier soir, en indiquant que cette acquisition permettrait de "renforcer les investissements dans la résilience des réseaux très haut débit, (...) de consolider la maîtrise d’infrastructures stratégiques pour le pays; et de préserver un écosystème concurrentiel au bénéfice des consommateurs".

Interrogé sur ce dernier point, Stéphane Beyazian constate qu'à l'heure actuelle le marché français "est très promotionnel et qu'il le soit un peu moins avec trois grands groupes serait logique. Mais c'est là où il va y avoir aussi la réponse du régulateur", glisse-t-il avant d'approfondir son analyse.

Free restera le casseur de prix

"Je pense que c'est un marché qui restera quand même assez dynamique de façon générale. Les prix sont bas et ils ne vont pas monter", estime-t-il. Il nous précise toutefois que les offres mobiles comprises entre 9 et 12 euros pourraient "revenir sur des niveaux de prix qui se situent plus entre 15 à 20 euros par exemple".

Stéphane Beyazian ne voit en revanche pas les offres plus traditionnelles (celles comprises entre 20 et 40 euros) flamber, notamment parce que Free continuera de jouer son rôle de casseur de prix. De même, en cas de rachat, il s'attend à ce que les repreneurs des abonnés s'engagent à ne pas modifier les tarifs pendant un certain temps.

Une position optimiste qui rejoint la musique jouée par Bouygues Telecom. L'opérateur expliquait en effet hier, lors de sa conférence téléphonique avec la presse, que le marché à quatre ou à trois est dans une phase de conquête, d'acquisition de clients. Or on attire rarement les clients en augmentant les prix.

Pas de trops inquiétude donc pour les clients des opérateurs en général. Et plus particulièrement pour ceux de SFR, cette vente est-elle une bonne chose ?

"D'un point de vue promotionnel, non", concède Stéphane Beyazian, "d'un point de vue de qualité de service...". SFR récolte là, semble-t-il, ce qu'il a semé...
Pierre Fontaine