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Les fins de mois difficiles de Radio France

La rue Poncet à Valence

La rue Poncet à Valence - Google Street View

EXCLUSIF. Les radios publiques, condamnées à verser 154.000 euros à un promoteur immobilier, ont prétendu ne pas pouvoir payer cette somme, mais sans convaincre...

Jouer les Caliméro ne réussit pas à Radio France. Le 9 mars dernier, les radios publiques ont été condamnées à verser 154.000 euros à un promoteur immobilier du Rhône. De manière surprenante, elles ont contesté ce jugement en affirmant... qu'elles ne pouvaient pas payer cette somme. Devant la cour d'appel, elles ont en effet expliqué: 

"L'exécution provisoire [de la condamnation] aurait pour Radio France des conséquences manifestement excessives. La situation financière de Radio France est extrêmement difficile. Radio France présente un résultat déficitaire pour 2016 de 10,8 millions d'euros, 13,9 millions en 2015 et 2 millions en 2014. Un déficit de 6,7 millions s'annonce pour 2017".

Mais la cour d'appel est restée insensible à ce plaidoyer, et a renvoyé dans ses buts la radio publique:

"Radio France ne prétend pas qu'elle encourt un risque de disparition ou de liquidation judiciaire. Elle ne démontre pas l'existence des conséquences manifestement excessives qu'elle invoque. La somme dont elle est redevable est des plus modestes (154.000 euros) au regard de son chiffre d'affaires (+ de 600 millions d'euros). Radio France dispose de liquidités suffisantes et ne démontre pas son impossibilité de régler 154.000 euros". 

En effet, fin 2016, la trésorerie en caisse s'élevait à... 21 millions d'euros! Sans surprise, en juillet dernier, la cour d'appel a donc débouté Radio France. 

Clochemerlesque

Cette décision est le dernier épisode d'une histoire clochemerlesque qui a débuté en 2009 à Valence. Notre promoteur immobilier, G. Fontanel Promotion, achète alors un terrain au 6-10 rue Poncet pour y construire un immeuble de 18 mètres de haut. Son voisin d'en face va s'avérer peu commode: il s'agit du studio local de France Bleu, qui affirme que le nouvel immeuble "risque de perturber" l'émission de son signal, tout comme la grue du chantier.

En septembre 2010, la radio publique saisit donc la justice en référé, demandant l'arrêt des travaux. Le 10 novembre 2010, le tribunal de grande instance de Valence ordonne la suspension des travaux, tant qu'une solution n'a pas été trouvée pour l'émission des ondes. Le chantier est donc arrêté. Entre temps, TDF met en place une autre solution pour émettre le signal, et le promoteur donne son accord pour payer cette solution.

"Acharnement et mauvaise foi"

Les travaux reprennent donc fin février 2011. Mais, fin juin 2011, Radio France saisit à nouveau la justice. Elle affirme que le chantier fait du bruit, "crée un risque pour ses salariés et les passants", et "projette sporadiquement des gouttes de béton". A nouveau, le tribunal de grande instance de Valence lui donne raison, et ordonne encore l'interruption des travaux. 

Furieux, le promoteur fait annuler ce jugement en appel. La cour d'appel estime en effet qu'il n'y a aucune raison d'arrêter à nouveau le chantier: ni violation manifeste des règles de sécurité, ni dommage imminent, ni perturbation des émissions. Mais Radio France ne lâche pas l'affaire, et tente -en vain- de se pourvoir en cassation. 

Le promoteur contre-attaque alors. Il porte plainte contre Radio France devant le tribunal de commerce, l'accusant d'"abus de droit", et réclamant 1,7 million d'euros de dommages. Parallèlement, il obtient six saisies sur les comptes bancaires de Radio France, et fait bloquer 474.314 euros.

Finalement, le tribunal de commerce "constate un acharnement certain de Radio France et une certaine mauvaise foi dans son comportement", et juge que la radio publique a bien commis un abus de droit. Notamment, "Radio France a été le seul du voisinage à considérer avoir subi un préjudice anormal, et n’a pas respecté les usages de voisinage en milieu urbain dense". Le tribunal condamne donc la radio publique à payer 154.000 euros de dommages -c'est cette somme que Radio France prétendra ne pas pouvoir payer. 

Entretemps, fin 2013, le studio local de France Bleu à Valence a quitté la rue Poncet pour de nouveaux locaux flambants neufs. 

Interrogé, Radio France n'a pas répondu.

Jamal Henni