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"Elle serait peut-être toujours en vie": en Espagne, les loupés de l'algorithme censé prévoir les féminicides

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Dans une enquête publiée par le New York Times, VioGén, une solution utilisée par la police espagnole pour identifier les femmes les plus exposées aux violences conjugales, à vu son efficacité remise en question.

Un algorithme controversé. VioGén, un dispositif utilisé par les forces de l'ordre espagnoles pour "évaluer les risques de récidive dans les affaires de violence conjugale" voit son efficacité remise en question dans une enquête du New York Times. Introduit en 2007, ce système a été conçu pour aider la police à identifier les femmes les plus exposées à de nouvelles agressions et à leur fournir une protection adaptée.

Le fonctionnement de VioGén repose sur un questionnaire de 35 points, rempli par les agents lors de l'entretien avec la victime, qui génère ensuite un score de risque allant de "négligeable" à "extrême".

L'algorithme se base sur divers facteurs de risque, dont la toxicomanie, la perte d'emploi et l'instabilité économique. Les réponses à certaines questions, comme les tendances suicidaires ou la jalousie de l'agresseur, ont un poids plus important dans l'évaluation que l'algorithme fait sur la victime.

Malgré les affirmations du gouvernement espagnol sur l'efficacité apparente du dispositif VioGén dans la réduction des taux de récidive, le quotidien new-yorkais expose plusieurs cas où l'algorithme a gravement "sous-estimé" le danger, parfois avec des conséquences fatales.

L'un des cas les plus marquants est celui de "l'affaire Lobna Hemid". Une femme de 32 ans, tuée par son mari. Sept semaines après avoir été classée à "faible risque" par VioGén. L'enquête fustige aussi la trop grande confiance, "presque aveugle", accordée par les policiers à cette technologie.

"Elle serait peut-être toujours en vie"

En 2016, Stefany Escarraman, une jeune femme de 26 ans vivant près de Séville, s'est rendue à la police après avoir été violemment agressée par son mari. Selon le rapport, il l'avait frappée au visage et étranglée. Après une audition d'environ cinq heures avec la police, les informations recueillies ont été entrées dans le système VioGén. L'algorithme a alors évalué le risque de récidive comme "négligeable".

Le lendemain, avec des signes physiques de l'agression (elle avait un œil au beurre noir et gonflé), Stefany s'est présentée au tribunal pour demander une ordonnance restrictive contre son mari. Le juge, se basant en partie sur le score de risque négligeable attribué par VioGén et sur l'absence d'antécédents criminels du mari, a refusé d'accorder l'ordonnance restrictive.

Tragiquement, environ un mois après cet épisode, le mari de Stefany l'a poignardée à plusieurs reprises au cœur, en présence de leurs enfants. Elle est décédée des suites de ses blessures. "Si elle avait reçu de l’aide, elle serait peut-être toujours en vie", a déploré Williams Escarraman, le frère de Stefany, auprès du New York Times.

Les cas de Lobna Hemid et Stefany Escarraman ne sont pas isolés. Sur une liste de 98 homicides examinés par le New York Times, 55 concernaient des femmes que VioGén avait classées comme étant à risque "négligeable" ou "faible".

Une solution qui "déresponsabilise" la police

Actuellement, l'algorithme VioGén gère 92.000 dossiers actifs de victimes de violences conjugales en Espagne. Bien que 83% de ces cas soient classés à faible risque, les statistiques du ministère de l'Intérieur révèlent que 8% des femmes jugées à risque négligeable et 14% à faible risque ont subi de nouvelles agressions.

Certains critiques, comme Susana Pavlou de l'Institut méditerranéen d'études de genre (MIGS), estiment que l'algorithme "déresponsabilise" la police dans l'évaluation des besoins réels des victimes. De plus, le manque de transparence du gouvernement sur l'efficacité du système et son refus de le soumettre à un audit externe soulèvent toujours plus de questionnements.

Malgré ces ratés, les autorités assurent que les résultats sont globalement positifs: depuis 2007 le taux de récidive dans les cas de violences conjugales est passé de 40% à environ 15%. Confiantes dans leur outil, les autorités espagnoles envisagent même d'étendre son utilisation à d'autres domaines tels que le harcèlement au travail et les crimes haineux.

Willem Gay