Qui est Sweet Baby Inc, l'entreprise accusée d'être "woke" et de détruire le jeu vidéo?

God of War Ragnarök, Marvel's Spider-Man 2, Alan Wake 2 et dernièrement Concord ont tous un point commun: pas celui évident d'être des jeux vidéo, mais ils ont tous reçu l'aide plus ou moins active de Sweet Baby Inc.
Cette entreprise québécoise a vu le jour en 2018 sur l'impulsion de deux anciens développeurs d'Ubisoft, Kim Belair et David Bédard. Le duo a pour ambition de rendre le jeu vidéo plus inclusif, diversifié, et le rendre en phase avec son époque. Sweet Baby Inc est néanmoins depuis plusieurs mois dans le viseur de la droite et de l'extrême droite, ainsi que des joueurs les plus radicaux, qui l'accusent de tous les maux actuellement traversés par l'industrie.
Souligner les "qualités" pas les "problèmes"
Pour cette communauté contestée, l'échec tonitruant de Concord, qui a coûté plus de 200 millions de dollars à Sony, et qui a fermé ses portes au bout de seulement quinze jours - entraînant dans sa chute son studio, Firewalk -, est la preuve que les conseils apportés par l'entreprise ne sont pas bons et sont synonymes de fours commerciaux ou critiques.
Avec les années, Sweet Baby Inc a effectivement pris part à l'écriture de scénarios de jeux d'envergure comme de titres plus confidentiels. Il s'agit parfois d'aide à l'écriture de personnages, par exemple dans le but de rendre l'écriture plus inclusive, ou encore intégrer des personnages homosexuels, bisexuels, non binaires ou trans.
Sur des jeux comportant par exemple des personnages fluides avec leur sexualité ou qui ne se définissent pas par leur sexe d'origine, le studio vient apporter des connaissances pour les dialogues (avec des "iels") ou dans l'identification d'un protagoniste sans le mégenrer. Sur Assassin's Creed Valhalla, Sweet Baby Inc a ainsi travaillé avec les équipes d'Ubisoft Montréal pour mieux intégrer à l'histoire et l'époque des vikings la possibilité d'une relation homosexuelle entre le héros ou l'héroïne et un personnage du jeu.
"Nous abordons la sensibilité en travaillant sur votre récit et votre documentation existante pour faire ressortir son authenticité naturelle et sa résonance émotionnelle. Nous ne recherchons pas les problèmes, nous soulignons ce qui est de qualité," écrit Sweet Baby Inc sur son site officiel.
Si dans un premier temps, les procédés de Sweet Baby Inc sont rarement signalés par les joueurs, la situation devient explosive lorsque des utilisateurs de 4Chan, le forum peuplé par les complotistes et les masculinistes, aux côtés de sub-Reddits extrêmistes, s'emparent du sujet.

C'est notamment Suicide Squad: Kill the Justice League, développé par Rocksteady, qui va allumer véritablement la mèche. Le jeu, conçu comme un "jeu à services" avec des saisons, ne trouve ni le succès critique, ni le succès commercial.
Mais plutôt que de se questionner sur les choix hasardeux de son éditeur Warner, une partie du public préfère pointer du doigt Sweet Baby Inc, donc le rôle dans le titre a été d'écrire des scénarios pour certains des personnages non jouables et a aidé à l'enregistrement de certains doublages, pas d'y apporter une touche supplémentaire d'inclusivité que les développeurs avaient déjà décidé de longue date.
"Des hallucinations créées par des escrocs"
Rien ne permet de croire que l'entreprise est responsable de l'échec du titre. Une information confirmée par le journaliste de Bloomberg, Jason Schreier, qui a pu s'entretenir avec certains développeurs de Rocksteady: "J'ai demandé ce qui avait mal tourné à des dizaines de personnes qui ont travaillé sur le jeu, et pas une seule n'a mentionné Sweet Baby Inc."
Pour lui, une frange des joueurs "poursuit des fantasmes colériques créés par des escrocs." Ces derniers utilisant la colère des joueurs face à des choix peu judicieux d'éditeurs pour enchaîner les fausses informations et les accusations diffamatoires.
Tête d'affiche de ce mouvement, Mark Kern, aussi connu sous le pseudonyme Grummz, est un ancien responsable de Blizzard (jusqu'en 2005) et s'est fait connaître en apporter son soutien au Gamergate - menant à du cyberharcèlement contre des femmes joueuses ou développeuses.
Les joueurs les plus impliqués dans ce combat cherchent à éradiquer toute forme de "wokisme", ce mot que s'est approprié l'extrême droite, mais aussi Elon Musk, et qui concerne l'ensemble des sujets liés à l'inclusivité ou de gauche. Ensemble, ils ont notamment fait une liste des jeux dont s'est occupé Sweet Baby Inc, mais pas que. Dans cette cour des miracles, on peut par exemple y voir mentionner des jeux qui ont subi des modifications lors de la sortie en occident, comme Dragon Quest, ou encore des titres qui ont seulement été mentionnés par Sweet Baby Inc dans une newsletter, comme Tales of Kenzera: Zau. Objectif: du "review bombing", des mauvaises notes de joueurs qui n'ont pas touché aux jeux. La passivité de Valve vis-à-vis de ce groupe de curation avait d'ailleurs été dénoncé par les développeurs concernés.
Mais si Sweet Baby Inc est responsable des échecs de l'industrie, les joueurs qui les accusent entendent néanmoins éviter soigneusement de parler des succès. Car la société a également apporté de l'aide à des studios qui ont connu de véritables cartons, comme Marvel's Spider-Man 2, Alan Wake 2 ou encore God of War Ragnarök.
Des menaces de morts contre les studios
Pire, parfois, des idées d'inclusivité ne viennent tout simplement pas de Sweet Baby Inc. Marvel's Spider-Man 2 a, par exemple, eu droit à ses accusations, lorsque des personnages ont arboré un drapeau arc-en-ciel dans les rues de New York. Mais ce choix n'a pas été fait par Sweet Baby Inc, qui a confirmé avoir simplement oeuvré à l'amélioration du récit, sans se charger de son inclusivité. A plusieurs reprises, sa co-fondatrice Kim Belair a expliqué que sa société ne pratiquait aucune censure et n'en avait de toute façon pas le pouvoir.
Par ailleurs, l'entreprise est parfois pointée du doigt sur des projets sur lesquels elle n'a pas oeuvré. Dernièrement, c'est Dragon Age: The Veilguard, dont un des personnages est non-binaire et se questionne sur son genre, qui a mené à une vindicte de l'extrême droite comme Sweet Baby Inc malgré son absence d'implication.
La véhémence des partisans du Gamergate a par ailleurs donné lieu à des menaces de mort contre Sweet Baby Inc, mais également les développeurs des studios collaborant avec eux.
En voulant trouver un coupable à certains échecs ou sur la situation actuelle du jeu vidéo, avec ses nombreux licenciements, une partie des joueurs les plus extrêmes ont donc choisi Sweet Baby Inc
L'entreprise n'a pas souhaité répondre à Tech&Co. Sous couvert d'anonymat, on nous explique néanmoins que les débats actuels sont pris très au sérieux, notamment sur le plan judiciaire.