Tech&Co
Gaming
Exclusivité

"C'est une super boîte, mais on est épuisé": chez Microids, les salariés alertent sur des conditions de travail dégradées

placeholder video
Si l'éditeur français Microids peut se targuer d'une année 2024 dans le vert grace au succès critique et commercial de l'adaptation du roman "Les Fourmis", les salariés, eux, font état, auprès de Tech&Co, de conditions de travail de plus en plus dégradées.

Nommé dans la catégorie "Meilleur jeu indépendant" et "Excellence visuelle" aux Pégases 2025, Les Fourmis, adaptation du roman culte de Bernard Werber, est l'un des gros succès de 2024 pour le Français. Inéspérée, cette réussite vient clôturer une année exceptionnelle pour Microids, éditeur français dans le giron de Media Participations.

Mais derrière ce succès se cache aussi le revers de la médaille pour les équipes, qui témoignent auprès de Tech&Co de symptômes d'épuisement professionnel: "On est très fatigué mentalement et physiquement," explique un développeur du studio parisien.

Des budgets strictes et fixés à l'avance

En cause, plusieurs facteurs, selon une dizaine de témoignages - tous, sous couvert d'anonymat - que nous avons reccueillis. Microids étant un éditeur spécialisé dans les jeux à petit budget ou à moyen budget, les cadences peuvent être infernales: "Qu'importe si un jeu n'est pas terminé, il faut parfois le sortir, car nous sommes beaucoup plus tributaires des fêtes de fin d'année par exemple, qu'un éditeur de jeux à gros budget," confirment des salariés du groupe.

"On ne peut pas se permettre de trop retarder un jeu, d'autant plus que les budgets sont très souvent fixés très à l'avance," explique un développeur de Microids Lyon.

De fait, ces dernières années, les succès de Microids ont parfois été occultés par de lourds échecs, comme l'adaptation du jeu Tintin, financée par l'éditeur mais développé par le studio espagnol Pendulo, et qui est sortie alors qu'il était injouable. Même constat pour XIII.

Le jeu vidéo Tintin Reporter: Les cigares du pharaon
Le jeu vidéo Tintin Reporter: Les cigares du pharaon © Microids
"Même si ces jeux ont depuis reçus des correctifs salutaires, on a vu venir la catastrophe, et plus haut, il n'était pas question de reporter le jeu, car on nous disait que trop de dépenses avaient été déjà engagées," souffle un salarié de Microids à Tech&Co.

Ces limites, justement, ont largement été testées aec Flashback 2, dont la sortie, en internet, est décrite comme "cataclysmique". Un salarié de Microids Lyon raconte à Tech&Co avoir mal vécu les moqueries des joueurs et de la presse sur ce projet: "On a sorti sous la contrainte, après plusieurs reports internes, une version qui était insortable. On savait qu'on allait se faire allumer."

"Tout le monde est épuisé"

Plusieurs témoins font état d'un manque de soutien de la part de la direction: "Lorsque le jeu est arrivé, on s'est fait incendier, personne n'a vraiment bougé le petit doigt. Pas même Paul Cuisset (le concepteur du projet, ndlr)."

Comme d'autres éditeurs, Microids est également confronté à une contrition du milieu du jeu vidéo. Les entreprises spécialisées dans les jeux au budget petit ou moyen sont encore plus durement impactées par la situation économique: "Electronic Arts, ils peuvent se permettre d'annuler un jeu en plein développement, ce n'est pas notre cas," précise un salarié en haut lieu.

Les Fourmis
Les Fourmis © Microids

Les échecs sont donc d'autant plus mal vécus. A Lyon, comme à Paris, le rythme de travail est particulièrement important, le crunch (les heures supplémentaires) est régulier: "Il n'y a pas de période de véritable repos," nous explique un chef d'équipe, "on a constamment un projet sur le feu et les heures supplémentaires, qui ne sont pas toutes récupérées, s'allongent. Tout le monde est épuisé."

A cela s'ajoutent des conditions de travail dégradées avec des postes non remplacés, des licenciements qui ne disent pas leur nom, et qui prennent la forme de ruptures conventionnelles négociées: "Je fais le travail de trois personnes," affirme l'un des témoins de cette enquête. "Je ne suis pas le seul dans cette situation."

Un nouveau directeur général attendu au tournant

Le tout, sur fond de changement de direction: un nouveau directeur général doit être officialisé dans les prochains jours, selon des informations récoltées par Tech&Co. Les salariés redoutent un profil qui ne correspond pas à la culture de Microids: "C'est toujours compliqué d'avoir un nouveau patron, et on a surtout peur qu'il change l'ambiance à Microids."

Car ce qui ressort de notre enquête, c'est que malgré la fatigue physique et mentale, à laquelle s'ajoute une incertitude régulière sur la survie de certains studios et postes, les salariés interrogés aiment leur entreprise: "C'est une super boîte, mais on est épuisé. Il faut que la direction le comprenne. On ne peut pas continuer comme ça éternellement, ou on va finir pressés comme des citrons," explique l'un d'eux.

"Les talents sont là, la passion aussi, mais l'épuisement professionnel peut vite se transformer en toxicité," lâche, désabusé, un ancien chef de projet de Microids, "s'ils continuent, ils vont avoir une perte de connaissance terrible, et vont créer un environnement toxique."

Malgré tout, les projets ne manquent pas. Au-delà des franchises annualisées, les prochains mois pourront notamment compter sur un remake de L'Amerzone, légendaire jeu d'aventure conçu par le regretté Benoît Sokal et sur un jeu Cobra, issu du manga du même nom. Selon nos informations, Microids s'apprête également à mettre en production très active un cinquième épisode de Syberia.

La vision du prochain directeur général sera donc déterminante pour l'avenir, mais plus encore, celle de son propriétaire, Média Participations, qui détient la plateforme de streaming ADN, les éditions Dargaud, Dupuis, Kana, et Urban Comics.

Contacté sur l'ensemble des points soulevés par ces témoignages, Microids n'avait "pas de commentaires à faire".

Sylvain Trinel