"Les Fourmis": comment Bernard Werber a transformé son propre roman en jeu vidéo

L’adaptation en jeu vidéo du livre "Les Fourmis" écrit par Bernard Werber sort ce 7 novembre. Une vision vidéoludique à laquelle l’auteur a participé avec enthousiasme.

Peut-on aisément faire un jeu de stratégie où le personnage central serait une fourmi? "Et pourquoi pas?" a répondu Bernard Werber, auteur du livre à succès Les Fourmis, quand les dirigeants de Microids sont venus le voir pour lui soumettre l’idée d’une adaptation.

"J’avais envie que le livre des Fourmis soit développé sous plein de formes", confie-t-il à Tech&Co. "Je ne me considère pas comme écrivain, mais comme raconteur d’histoires. Et raconter des histoires, ça peut se faire par le cinéma, la BD, la musique, la comédie musicale, ou bien par les jeux vidéo."

L’écrivain a toujours voulu faire de son œuvre un film, mais le destin en a décidé autrement. À sa sortie en 1991, le livre attise pourtant les convoitises. "Medialab avait acheté les droits dès sa sortie. C’était une boîte d’images de synthèse qui voulait sortir le premier film 100% images de synthèse, avant Toy Story", se souvient Bernard Werber. "Ils avaient fait un premier film avec Moebius qui s’appelait Starwatcher. Pour Les Fourmis, ils avaient des séquences, des modélisations, tout le truc…"

"Les Fourmis", tiré du livre de Bernard Werber © Microids

Une lettre d’excuse de Spielberg, la revanche par le jeu

Mais l’adaptation en film d’animation ne sortira jamais. Le patron de Medialab meurt dans un accident et la société est revendue à Canal qui propose alors le projet à Disney. "Disney a dit: 'c’est génial, on va faire un film. Mais on ne vous achète pas les droits'. Et ça a donc donné Mille et une pattes", raconte-t-il un peu déçu.

Alors président de Disney, Jeffrey Katzenberg quitte ensuite le géant américain pour créer DreamWorks avec Steven Spielberg… et donner vie à Fourmiz, sans que Bernard Werber ne soit consulté ou ne perçoive des droits.

"Il y avait toute l’encyclopédie et toutes les preuves qu’ils s’étaient inspirés du livre. Il faut dire qu’ils avaient récupéré mon directeur artistique, celui qui était derrière l’adaptation en BD des Fourmis", raconte-t-il, ajoutant avoir envisagé de poursuivre Disney et Dreamworks.

"Mon éditeur m’a dit qu’on pouvait intenter un procès, mais qu’on ne gagnerait pas, même en ayant raison. C’était une partie de poker avec une mise de départ à un million de dollars et qu’il fallait aimer la bagarre qui pouvait durer 10 ans", en rigole-t-il.

L’histoire se termine aussi étrangement que bien: "J’ai reçu une lettre de Steven Spielberg (fondateur de Dreamworks, ndlr) pour s’excuser, car il ne savait pas que Fourmiz était inspiré de mon travail. Ce sont ses employés de Corée, où le livre est très populaire, qui lui avaient dit: 'eh, c’est le bouquin de Werber'. J’ai gardé la lettre et ma revanche, ça a été le jeu."

Fourmiz, le film d'animation de Dreamworks © DreamWorkd

En 1999, Les Fourmis devient un jeu vidéo de stratégie en temps réel en 3D voulant montrer le quotidien des fourmis. Un jeu salué par la critique, mais limité aussi par les contraintes technologiques de l’époque.

"Le gardien de l’âme du livre au sein du jeu"

"L’avantage du jeu vidéo par rapport au cinéma, c’est que chaque joueur va fabriquer son propre film original et ça, c’est la modernité", clame Bernard Werber. "Il y a deux possibilités d’utiliser ce jeu: comme jeu de stratégie ou comme outil de tourisme. Les joueurs vont découvrir combien la nature au ras des pâquerettes est belle et qu’on peut rester des heures à se promener".

Le jeu est conçu par les Rochelais de Tower Five, une petite équipe aux grandes ambitions pour cette aventure débutée il y a trois ans. Ils sont allés scanner les sols de la forêt de Fontainebleau où se déroule l’histoire du livre pour être le plus réaliste possible.

Et cela se ressent dès le démarrage du jeu: on s’y croirait tant la nature est photoréaliste, l’animation des insectes et leurs processions réelles. Un travail de photogrammétrie déjà impressionnant avant même de voir le rendu sur PS5 Pro pour lequel le jeu a été optimisé avec son lancement le même jour. De quoi enthousiasmer l’intéressé qui a pris part à la conception.

"J’ai été le gardien de l’âme du livre au sein du jeu", explique-t-il, remerciant aussi le studio d’être resté fidèle à l’histoire originale. "Il est évident que chaque joueur va faire sa propre quête, ses propres batailles, ses propres rencontres qui sont différentes selon ses choix et ses objectifs, sa capacité à bien gérer les groupes de fourmis. Chaque histoire va être dans l’esprit du roman, mais différente." Ce sera néanmoins bien celle d’une fourmi qui aide sa colonie sortant de l’hibernation à survivre face à des insectes et autres ennemis.

Mêlant exploration, missions tactiques et stratégiques, Les Fourmis est à la fois un jeu de stratégie en temps réel, un jeu d’aventure et d’action. De nombreuses missions du mode histoire vous incitent à parcourir l’environnement pour trouver des objets, discuter avec d’autres fourmis ou animaux, réfléchir à votre stratégie.

Il faut évidemment gérer des légions pour protéger des nids grâce aux éléments récupérés et aux pouvoirs aussi, qui serviront en phase de combat. Le tout en solo ou en multi, sous le soleil, la pluie ou la canicule. Car la météo a un impact sur votre partie et sur le comportement de vos fourmis.

Des scènes encore plus fourmillantes

Grâce aux progrès technologiques, le champ de bataille au milieu de la nature en est véritablement un. "Il y a quelque chose d’extraordinaire dans le jeu, c’est qu’il peut y avoir 15.000 fourmis en train de bouger simultanément à l’écran contre 15.000 termites alors que moi je ne pouvais pas le mettre dans le roman, juste dire 'des foules qui se battent'", s’amuse Bernard Werber.

"Là, on les voit et elles sont aussi stratégiques que dans la réalité". Pas d’inquiétude si vous êtes arachnophobes, un mode est disponible pour faire disparaître du jeu les vilaines bêtes velues.

Bernard Werber prenant en main l'adaptation de son livre "Les Fourmis" en jeu vidéo © Tech&Co

Et si les scènes de guerre sont aussi réalistes, c’est aussi parce qu’il fut aussi scénariste et réalisateur dans sa jeunesse. "J’ai storyboardé certaines scènes des Fourmis, notamment les batailles, pour avoir les plans serrés et larges quand j’ai écrit le livre", raconte-t-il pour expliquer aussi la vision qu’il en avait.

"On a les plantes autour, les papillons qui peuvent voler au-dessus des combats. Mais les concepteurs ici ont fait un travail extraordinaire qui n’est pas juste une illustration du roman. Ils se sont passionnés pour le projet pour leff. Ils sont allés observer les fourmis pour imaginer les scènes".

Un réalisme qui plaît forcément au créateur de l’univers qui avait installé une fourmilière dans sa baignoire au moment d’écrire l’oeuvre. Et quand on demande à Bernard Werber si cela lui donne l’idée d’écrire un quatrième volume à sa saga à succès, il répond: "Non. Mais il pourrait y avoir d’autres volumes du jeu s’il rencontre le succès. On va voir et je ne veux pas vendre la peau de l’ours avant d’avoir vu ce qu’il va devenir."

Melinda Davan-Soulas