Entre le Venezuela et les États-Unis, la guerre des images à l’ère du numérique a commencé

Le président du Venezuela, Nicolás Maduro. - AFP
La propagande ne s'arrête jamais. Et pour cause: elle n’a pas besoin de manger, de dormir ou même de respirer… surtout quand elle est alimentée par “des robots”. Deux avatars générés par intelligence artificielle, Noah et Daren, présentés comme des journalistes de la chaîne fictive House of News, diffusent des reportages vantant la bonne santé économique du Venezuela à travers des chiffres flatteurs sur le tourisme et le sport, alors même que le pays est en crise.
Cette histoire, mise en lumière par le quotidien hispanophone El País, révèle l’usage d’avatars générés par intelligence artificielle. Prenant la forme d'animateurs de faux journaux télévisés, ils servent surtout à diffuser des messages et vidéos pro-gouvernementales.
Créés via le logiciel Synthesia, ces faux présentateurs s’inscrivent dans une série d’avatars réutilisables (médecin, ouvrier, chef cuisinier, etc.), déjà employés dans des campagnes de désinformation pro-chinoises. Leurs vidéos, massivement relayées sur Youtube, Tiktok et même diffusées à la télévision publique vénézuélienne, participent ainsi à la propagande du gouvernement de Nicolás Maduro (président du Venezuela, NDLR) .

Robots futuristes et fausses images
Dans un contexte de fortes tensions entre Caracas et Washington, les relations se sont encore dégradées après le déploiement, il y a près d’un mois, de navires de guerre et d’un sous-marin américains dans les Caraïbes, officiellement pour lutter contre le trafic de drogue à destination des États-Unis. D’après le Pentagone, au moins trois embarcations de présumés trafiquants en provenance du Venezuela ont depuis été coulées, entraînant la mort de quatorze personnes.
Derrière ces deux présentateurs IA, une myriade d’images générées par intelligence artificielle. Sur un compte Tiktok qui rassemble plusieurs dizaines de milliers d’abonnés, on trouve plusieurs vidéos de robots de combat futuristes, prétendument affiliés au Venezuela et présentés comme “la nouvelle génération de gardiens” du pays. Ces robots, tout droit sortis de films comme Terminator ou Avatar… n’existent évidemment pas.
Mais des vidéos et photos plus sérieuses circulent. Parmi elles, certaines, proches de comptes liés au pouvoir vénézuélien, montrent avec fierté la “puissance militaire” du pays sud-américain. On peut y voir notamment des chars de fabrication soviétique T-72 modernisés, des blindés chinois VN-1 ou encore des chasseurs multirôles russes Soukhoï Su-30. L’objectif affiché: montrer que le Venezuela est prêt.
Une intense propagande numérique
“En ce moment, il y a une propagande intense de la part de Maduro et de ses plus fidèles soutiens, à la télévision comme sur les réseaux sociaux. Elle s’inscrit dans une longue histoire politique. Depuis l’ère Chávez, les États-Unis sont présentés comme l’ennemi principal. Et parfois à raison, puisqu’ils avaient soutenu la tentative de coup d’État contre Chávez en 2002 et imposé des sanctions qui ont contribué à la crise économique depuis 2014”, nous explique Thomas Posado, maître de conférences en civilisation latino-américaine à l'Université de Rouen et auteur de Venezuela: de la Révolution à l’effondrement. Le syndicalisme comme prisme de la crise politique (PU du Midi, 2023).

Le pouvoir vénézuélien a utilisé de longue date la télévision et la propagande classique, mais désormais aussi les réseaux sociaux. “On a beaucoup vu circuler des images de puissance militaire créées par intelligence artificielle, et même des dessins animés comme ‘Super Bigote’, un super-héros à l’effigie de Maduro. L’objectif est de toucher un public plus large, y compris les jeunes qui ne regardent pas forcément les discours télévisés. À côté de cette propagande fantasmée, il y a aussi de vraies démonstrations militaires qui s’ajoutent à ce récit de force et de résistance”, développe Thomas Posado.
Si ce discours garde un certain écho, “il ne convainc aujourd’hui qu’un noyau très minoritaire de la population”, note Thomas Posado. “Ce qui domine dans la vie quotidienne des Vénézuéliens, c’est la crise. Mais les menaces répétées de Donald Trump permettent malgré tout au régime de réactiver cette rhétorique anti-impérialiste”, ajoute-il.
Adrián González, fondateur de Cazadores de Fake News, un site web qui démystifie la désinformation vénézuélienne, affirme à la BBC que le gouvernement utilise la propagande "pour neutraliser les informations qu'il ne contrôle pas" afin d'influencer la perception du public en ligne. De son côté, Marivi Vazquez, de ProBox, une ONG luttant contre la désinformation en ligne en Amérique latine, ajoute également pour la radio britannique que l'utilisation de cette abondante propagande numérique vise à perturber l'algorithme des “tendances” en le polluant avec des messages pro-gouvernementaux.
Les Etats-Unis aussi de la partie
Mais du côté américain aussi, “la campagne numérique” s’active. Sur de nombreuses vidéos relayées sur Tiktok ou sur la plateforme X, l’armée vénézuélienne est tournée en dérision. On y voit des vieillards, des femmes enceintes ou encore des enfants “déguisés” en soldats ou en miliciens, accompagnés de commentaires tels que : “Voilà ce dont est capable l’armée vénézuélienne en 2025” ou “Ils ne feront jamais le poids”.
Ces contenus, diffusés principalement par des comptes proches de Donald Trump et du mouvement MAGA, illustrent une autre facette de la guerre numérique. Les partisans de l’intervention, bien que minoritaires dans la classe politique américaine, ont choisi d’engager d’abord leur bataille sur internet et les réseaux sociaux.

Et une partie de l’opposition à Nicolás Maduro s’aligne sur le discours de Donald Trump, dans l’espoir qu’une intervention étrangère puisse précipiter la chute du régime. “L’opposition reste active, mais fragmentée. On compte des centaines, voire des milliers de manifestations chaque année, tolérées tant qu’elles ne sont pas coordonnées. Les secteurs plus radicaux, menés par María Corina Machado, disposent de la plus forte capacité de mobilisation. Depuis l’élection de 2024, elle a très peu de liberté pour organiser des rassemblements. Internet, et particulièrement les réseaux sociaux, restent l’un des seuls espaces de liberté”, nous raconte Thomas Posado.
Dans un pays où de nombreux sites d’information sont désormais inaccessibles, l’usage des VPN connaît un essor considérable, faisant du Venezuela l’un des territoires où ces outils de contournement sont parmi les plus utilisés au monde. Ce phénomène s’inscrit, par ailleurs, dans un schéma similaire à celui observé dans d’autres pays, comme le Népal ou l’Indonésie, où la jeunesse, très active en ligne, utilise notamment les mèmes comme moyen d’expression et de mobilisation.