"Twitch s'en lave les mains": des victimes de cyberharcèlement dénoncent le service "minimum" de la plateforme

La scène se passe le 30 octobre 2021. Inoxtag n'avait pas encore gravi l'Everest mais il fait déjà partie des stars d'internet. Ce jour-là, il participe au ZEvent, événement caritatif diffusé en direct sur Twitch, et s'amuse à faire répéter des propos sexistes et vulgaires à une influenceuse non-francophone. En coulisses, les équipes françaises de Twitch ne s'activent pas.
C'est la streameuse Ultia qui évoque cet épisode lors du procès de ses cyberharceleurs qui s'est tenu le 21 janvier dernier. "En régie, tout le monde regardait le stream d'Inoxtag", explique-t-elle devant les juges. Des responsables du ZEvent mais aussi des responsables de Twitch France, selon son récit.
"J'ai demandé pourquoi personne ne faisait rien, ils m'ont dit 'on attend que ça dérape', j'ai donc dit qu'il était déjà en train de déraper", assure-t-elle.
Depuis, Inoxtag s'est excusé mais Ultia est devenue la victime d'une vague de haine en ligne. Du côté de Twitch, on a fait profil bas.
Une modération contestée
Car depuis quelques années, la plateforme est régulièrement pointée du doigt pour son manque de modération. Si des mesures ont été prises pour endiguer les dérapages, des streameuses et streameurs interrogés par Tech&Co assurent que la situation reste compliquée: la plupart des actions possibles sont entre les mains des créateurs, évitant à Twitch de s'y impliquer véritablement.
Par exemple, un streameur peut activer un mode "Bouclier" qui permet de bloquer toutes les interactions dans un chat et le nettoyer de tous ses messages. Le système de bannissement permet aussi de se prémunir d'un compte secondaire déjà banni - sauf s'il utilise une adresse IP différente.
"Il faut nous même concevoir notre propre modération, avec des modérateurs bénévoles et des règles précises, sans quoi ça ne suffit pas," souffle un célèbre vidéaste de la plateforme.
Des outils à disposition, certes, mais une forme de déresponsabilisation, dénoncent les streameurs interrogés. "Twitch s'en lave les mains la plupart du temps", tranche une créatrice ayant souhaité garder l'anonymat - comme les autres témoins interrogés par Tech&Co. "Ils peuvent bien nous donner des outils pour, par exemple, maîtriser le chat, mais à la fin, lorsque c'est un autre streameur qui est mis en cause, si celui-ci est connu, il n'a qu'une tape sur les doigts."
En janvier 2022, c'est le streameur Pfut qui est banni par Twitch pendant deux semaines après avoir été soupçonné d'être derrière un raid numérique contre la streameuse. Twitch n'a jamais communiqué officiellement sur les raisons de ce bannissement mais au procès pour cyberharcèlement, deux accusés expliquent avoir envoyé des messages menaçants et insultants après avoir entendu Pfut s'en prendre à Ultia.
Après la médiatisation de cette audience, Pfut a néanmoins admis avoir fait "une erreur" et dit "ne pas se reconnaître" dans les agissements contre la streameuse. Contacté par Tech&Co, il n'a pas répondu à nos sollicitations.
"Depuis, il reste toujours en dehors de la ligne rouge, et utilise d'autres termes lorsqu'il veut parler des femmes, des féministes, des homosexuels, pour éviter de se faire bannir," grince un streameur.
"On ne peut pas le bannir car il est souvent à la limite, et il le sait", glisse, de son côté, un responsable de Twitch France à Tech&Co, sous couvert d'anonymat.
Le service "minimum" de Twitch
Pourtant, Twitch avait tenté de faire amende honorable en 2022, lorsque la plateforme avait expliqué vouloir également prendre en compte le comportement de ses créateurs en dehors de Twitch. "Quand j'ai vu cette annonce, je me suis réjouie," lâche une streameuse.
"Mais en fait, rien n'a changé, car certains créateurs ont clairement dépassé les bornes, notamment sur X, ce qui n'a pas empêché Twitch de les mettre en avant" souffle-t-elle.
Selon des informations recueillies par Tech&Co, une partie de l'équipe française de Twitch est d'ailleurs contestée par plusieurs de ces créatrices. Plusieurs de ces créatrices mettent en cause une partie de l'équipe française de Twitch, qu'elles accusent de "protéger (des) streameurs problématiques".
Une autre source chez Twitch France le reconnait à demi-mot: "Certains des responsables de 'talents' (le nom de streameurs, chez Twitch) développent des relations particulières avec eux, on peut imaginer qu'ils les protègent sans doute un peu trop."
De plus, les créateurs et créatrices de contenus victimes de cyberharcèlement sur Twitch dénoncent un manque de prise en charge de la plateforme qui se contente "du minimum".
"Le harcèlement sexuel n'a pas sa place" sur Twitch
Contacté sur l'ensemble des ces accusations par Tech&Co, Twitch s'est contenté d'un message global, assurant vouloir faire de la plateforme un "endroit sûr et le plus inclusif possible".
"Le harcèlement sexuel n'a pas sa place sur le service" explique l'entreprise. "Twitch prend des mesures lorsque des cas de harcèlement sexuel ou d'abus sont identifiés, et fait évoluer en permanence les politiques, les technologies et les outils de signalement pour protéger la communauté".
La plateforme ajoute "saluer le courage dont font preuve celles et ceux qui se manifestent pour témoigner de leurs expériences et s’engage à travailler pour rendre la communauté de streaming plus sûre pour tous."