Faut-il se méfier des cartes-cadeaux Emrys, promues par des influenceurs sur TikTok?

"Récupérez de l’argent en dépensant de l’argent." C’est la promesse lancée par "Vivi", une des TikTokeuses qui fait la promotion assidue d’Emrys, une coopérative de consommateurs qui promet de récupérer des bons d’achat en faisant ses courses au quotidien. Fondée en 2014, l’entreprise revendique aujourd’hui 220.000 membres.
Pour cumuler des points, les membres doivent en théorie régler leurs courses via des cartes-cadeau vendues par Emrys. Mais intégrer de nouvelles recrues permet de gagner davantage, et une multitude de micro-influenceurs se lancent dans des campagnes de recrutement sur les réseaux sociaux. Avançant des gains qui semblent parfois dépasser la réalité vécue par certains acheteurs.
Une armée de micro-influenceurs
"J’avais un seul salaire à la maison, et je cherchais un moyen de faire des économies. Je me suis dit 'c’est trop beau pour être vrai'", raconte à Tech&Co Pieralex - son prénom, mais également son pseudonyme sur Facebook.
Ce père de trois enfants, âgé de 49 ans, y publie régulièrement des vidéos explicatives sur Emrys depuis un an. En faisant passer 90% de ses achats par ce système, il parviendrait à dégager entre 400 et 500 euros d’économies mensuelles depuis deux ans. En quatre ans, Pieralex aurait intégré une cinquantaine de membres, mais affirme ne pas spécialement chercher à recruter en ligne, préférant rencontrer les gens en personne.

Sur TikTok, tout est bon pour convaincre: afficher les chiffres alléchants de ses crédits d’achats, ou se mettre en scène en train d’acheter des produits grâce aux remises récupérées. Mais parmi les témoignages dithyrambiques, se cachent aussi des clients déçus.
"J'ai adhéré pendant trois ans, sans parrainer : résultat très mitigé, même en dépensant beaucoup (8000€ par an), je gagnais environ 9 € par mois…" écrit ainsi Miranda* (le prénom a été modifié) sur Facebook. "Et comme le système des parts est très complexe, je ne vois pas bien comment ça peut augmenter."
Un système complexe jusqu’au tournis
Enseignes de grande distribution comme Carrefour, d'électroménager, de mode ou même des restaurants: sur le site d’Emrys, il est possible d’acheter des cartes-cadeau pour tout ou presque, utilisables en boutique ou sur les sites internet participants. Elles peuvent également être utilisées pour obtenir des produits directement commercialisés par Emrys, comme des compléments alimentaires.
En dépensant chez ces partenaires, les membres de la coopérative gagnent des "coins" qui leur permettent de remporter des "parts", des sortes de cagnottes numérotées qui s’apparentent à une carte de fidélité à remplir chez un commerçant. Les participants doivent ensuite faire fructifier ces "parts" (on appelle cela "cycler" une part) afin de gagner des crédits d’achat qui augmentent progressivement, compris entre 9 euros pour la première part, et 25.000 euros pour la 15e selon le site d’un membre. D’autres parts sont générées à chaque cycle, et libre ensuite de recommencer le processus.
Pour devenir membre et accéder au système Emrys, il faut d’abord régler un abonnement: entre 10 et 100 euros par an selon le statut, qui accorde plus ou moins d'avantages. Le plus haut niveau, celui des “Enchanteurs”, permet de retirer l'argent gagné et non pas seulement de l'utiliser sous forme de remises, ainsi que de parrainer de nouveaux membres.
C’est le statut le plus avantageux, car les parts des parrains sont mutualisées avec celles les personnes qu’ils ont recrutées, permettant d’atteindre le gain suivant plus rapidement. Les Enchanteurs touchent des commissions sur les gains de leurs recrues, de l’ordre de 4 à 2,5%.

MLM, système de Ponzi ?
Ce type de structures rappelle le marketing multiniveaux (MLM), où les revendeurs peuvent parrainer de nouveaux membres dans le réseau, et toucher des commissions sur les ventes effectuées par leurs recrues.
"Le MLM en soit n’est pas illégal, mais le devient lorsqu’il ressemble à une pyramide de type Ponzi, où les revenus gagnés par les membres ont pour source les utilisateurs de ce réseau et de ce service [davantage que le produit ou le service vendu]. Pour caractériser une pyramide, il faut qu'il n'y ait pas de source de revenus externe au schéma", détaille Konstantin Mikov, avocat spécialisé dans le droit des investisseurs particuliers et membre du réseau Avocats-Litiges-Finaniers.fr.
Interrogé par Tech&Co, le PDG d’Emrys, Wilfried Rivière, tique sur l’appellation. "Chez Emrys vous êtes rémunéré uniquement sur la vente de produits ou services, cartes-cadeau et licences, et en aucun cas sur l’investissement apporté par de nouveaux entrants: on a strictement rien à voir avec un système pyramidal", assure-t-il.
"Nous avons deux rémunérations: on obtient des commissions sur les volumes d’affaires qu’on apporte à nos enseignes partenaires [Carrefour, par exemple, leur commissionnerait 6 %], et on vend des licences annuelles à nos membres", détaille Wilfried Rivière.
Une partie est ensuite redistribuée aux membres. "En 2022 on a généré 9,5 millions d'euros sous forme de remises et de rémunérations. En 2023, on prévoit à peu près 15 millions d’euros", affirme le président d’Emrys.
Ainsi, pour avancer qu'Emrys s’approche d’un système pyramidal, "le critère le plus important, qui est que l’argent doit circuler dans l’écosystème de façon fermée, doit être prouvé étant donné qu'il semblerait qu'Emrys perçoive des revenus issus de tiers", relève Konstantin Mikov. Selon lui, "tous les autres critères semblent être là".
Communication non-officielle
Mais pour comprendre le fonctionnement du commissionnement, de la redistribution ou du parrainage, ne comptez pas sur le site officiel d’Emrys, totalement vide d’information concrète. Si vous voulez vous renseigner avant d’être inscrits, vous devrez vous baser sur une galaxie de contenus créés par des membres de façon indépendante.
Promesse de gains faciles, accent mis sur le recrutement, non-transparence… beaucoup des critères constitutifs d’un système pyramidal sont véhiculés par les membres d’Emrys eux-mêmes.
"Les montants sont importants", est-il ainsi écrit sur l’un de ces sites, qui montre, à grand coup de tableaux complexes, des gains cumulés qui peuvent atteindre plus de 43.000 euros en remplissant les dernières parts.
"La société peut facilement s'exonérer de sa responsabilité et soutenir ne pas pouvoir contrôler le discours de ses membres", remarque l’avocat Konstantin Mikov.
"Ne vous fiez pas aux tableaux de promesses de gains, ils sont complètement fantaisistes (et ne sont pas cautionnés par Emrys)!" prévient ainsi Miranda* sur Facebook, qui assure avoir été membre d’Emrys pendant trois ans.
De son côté, Wilfried Rivière insiste sur le fait qu’il s’agirait d’un investissement à considérer sur le long terme, avec une rentabilité perceptible au moins au bout de deux ans pour le premier statut : "On ne promet la richesse à personne en essayant d’être acheteur Emrys pendant six mois ou un an". Et d’ajouter, à propos de la promotion individuelle d’Emrys en ligne : "On ne s’associe pas à cette communication".
Reste une autre question: ce système pousse-t-il à surconsommer pour remplir ses quotas, comme l’affirme un ancien membre cité par le Parisien? "Ce n’est pas du tout les témoignages qu’on a en majorité. A mon avis ça reste exceptionnel, si c’est arrivé", assure Wilfried Rivière.