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Etats-Unis: des compteurs connectés ont servi à dénoncer des abonnés, faut-il craindre la même chose en France?

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Un fournisseur d'électricité américain est accusé d'espionner les compteurs électriques connectés de ses clients. Ceux dont la consommation était jugée anormalement haute, ont été perquisitionnés par la police.

Dénoncé par son compteur électrique. D'après Ars Technica, plusieurs foyers dans la zone urbaine de Sacramento, en Californie, ont fait l'objet de perquisitions motivées par une consommation d'électricité douteuse. Au point de faire penser aux forces de l'ordre que les habitants de ces logements cultivaient des plants de marijuana.

Comment la police a-t-elle été alertée ? Pourquoi ? Par qui ? Sur quels fondements ? Beaucoup de questions et une certitude, ces interventions font douter de l'exploitation des données de consommation d'électricité. L'Electronic Frontier Foundation (EFF), une ONG de défense des droits sur Internet, accuse notamment le fournisseur d'électricité local, le Sacramento Municipal Utility District (SMUD), de fournir sans le consentement des consommateurs, leurs relevés aux autorités.

Une collaboration "dissimulée"

Retour en arrière. En 2020, deux Californiens ont été surpris de voir débarquer à leur domicile des adjoints du shérif local. Ces derniers demandent à perquisitionner leur logement. La raison, une consommation électrique anormalement élevée.

Grâce aux informations fournies par les compteurs intelligents installés dans leur maison, les autorités soupçonnaient les deux individus d'utiliser un système d'éclairage dédié à la production de marijuana. Le SMUD aurait alors volontairement fourni les données aux autorités.

Il se trouve qu'aucun des deux hommes ne cultivait chez lui. Le premier utilisait un système de chauffage pour maintenir son corps à une température normale après une blessure grave. Le deuxième minait des cryptomonnaies.

Selon l'EFF, le fournisseur et les autorités ont longtemps essayé de dissimuler leur collaboration. Comme pour ces deux Américains, plusieurs milliers de foyers ont été signalés par le SMUD depuis plusieurs années, alerte l'EFF. Dans une requête déposée à la Cour suprême de Californie, l'ONG précise:

"À ce jour, le SMUD a transmis aux forces de l'ordre les noms, adresses et informations sur la consommation électrique de plus de 33 000 clients à partir d'une liste de codes postaux. (...) Ces 33.000 clients représentent environ 5% de la clientèle totale du SMUD, qui compte 650.000 clients."

L'EFF ajoute que les clients du SMUD n'ont à aucun moment "consenti à être surveillés et à ce que leurs informations soient divulguées". Du moins, refuser la politique de confidentialité du fournisseur n'était pas si simple d'après l'ONG. Il fallait trouver "un lien non-ostensible tout en bas du site du SMUD".

Les compteurs Linky, un outil de surveillance?

L'évocation d'un compteur connecté fait inévitablement penser à la mise en place des compteurs Linky en France, qui laisse beaucoup de citoyens perplexes. Comme pour le SMUD aux États-Unis, est-il possible pour Enedis et les autorités de collaborer?

En théorie, oui, cela est possible et même encadré légalement. "Les autorités policières sont dans leur droit de demander des informations dans le cadre d'une enquête", explique à Tech&Co Eric Barbry, avocat spécialisé dans le droit des nouvelles technologies. Enedis doit fournir les données de consommations d'un foyer si cela lui est demandé par la justice ou la police.

Maintenant dans l'autre sens, les choses sont plus nuancées. A partir des données des compteurs Linky, Enedis peut-il directement dénoncer un abonné aux forces de l'ordre? Il faut alors faire la distinction entre deux cas de figure: la détection de fraude et la consommation suspecte.

La fraude, un cas particulier

Si d'un côté, Enedis constate une fraude à l'électricité sur son réseau qui peut l'impacter financièrement et matériellement, "il est tout à fait normal, comme pour tout n'importe quel opérateur ou fournisseur, de pouvoir le signaler", affirme Eric Barbry.

Le gestionnaire du réseau de distribution d'électricité a d'ailleurs récemment montré sa détermination à lutter contre la fraude sur les compteurs Linky. Face à la prolifération de boîtiers trafiqués (qui dissimulaient une partie de la consommation d'électricité), Enedis a mené 121 contrôles au début du mois de juillet 2025. Il annonçait à cette occasion avoir compté "plus de 100.000 compteurs trafiqués" et déploré une "nette augmentation".

Contactée par Tech&Co, la société confirme que "Linky permet notamment de mieux détecter des fraudes à l’électricité, dans le but de garantir la sécurité des installations".

"Dénoncer, c'est légal"

Lorsqu'il s'agit d'une surconsommation suspecte (par exemple, un pic de consommation lié à la production de cannabis), la situation est différente. Une surconsommation n'implique pas forcément qu'il s'agit d'une activité criminelle comme en témoignent les situations des deux Américains cités plus haut.

Mais légalement, et en théorie toujours, rien n'interdit à Enedis de signaler une activité suspecte sur son réseau:

"Dénoncer, c'est légal. Si vous voyez des anomalies sur votre réseau, vous pouvez le dénoncer. Ça dépend si Enedis s'est engagé à ne pas le faire auprès de ses clients", indique Eric Barbry.

De son côté, le gestionnaire est affirmatif: "Ce n'est pas du tout [notre] rôle" de faire de la délation infondée, nous explique-t-il. "Les données collectées par les compteurs Linky sont utilisées exclusivement pour la gestion du réseau électrique et la facturation des clients. Enedis (et par extension les compteurs Linky, NDLR) n’a ni la mission ni la vocation de surveiller les comportements individuels des clients", nous explique Enedis.

Théotim Raguet