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Fiscalité immobilier

Logements vacants: faut-il les taxer davantage en pleine crise du marché locatif?

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Un amendement prévoit de rehausser la fiscalité sur les logements vacants afin d'inciter leur propriétaire à les mettre en location, notamment en zone tendue où trouver un appartement à louer est presque devenu mission impossible.

En pleine crise du logement, le sujet est plus que jamais d'actualité. Un amendement a été adopté dans le cadre du volet recettes du projet de loi de finances pour l'an prochain (soumis au vote ce mardi). S’il est conservé par le gouvernement en l'état, il permettra aux communes de taxer plus fortement les logements inoccupés.

Selon le dernier pointage de l'Insee, 3,1 millions de logements vacants en 2023, c'est 8,2% du parc de logements et une hausse de 60% par rapport à 1990. Mais de quoi parle-t-on exactement? Sur ces 3 millions recensés par l'Insee, il faut différencier un tiers de "vacance frictionnelle" (entre deux locations ou en attente de vente), un tiers de logements vacants depuis 6 à 24 mois, et un tiers de logements vacants depuis au moins 2 ans.

C'est évidemment dans les zones tendues que le sujet des logements vacants fait le plus débat. À Paris 262.000 logements sont sous-occupés, la moitié de résidences secondaires et la moitié de logements vraiment vacants. En parallèle on recense "seulement" 350.000 logements loués dans le parc locatif privé.

Selon la mairie de Paris "au rythme où vont les choses, d'ici à quelques années on aura plus de logements sous occupés que de logements loués dans le parc privé".

Éviter les changements de statut opportunistes

L'enjeu est de permettre aux grandes villes de fixer elles-mêmes le niveau de leur taxe sur les logements vacants et d'en encaisser les recettes. Aujourd'hui les villes situées en zone tendue appliquent une taxe qui revient à l'État avec des niveaux identiques (17% de la valeur locative annuelle d'un bien immobilier la 1ère année de vacance puis 34% au-delà) qu'elles ne peuvent pas modifier.

Pire, dans certaines grandes villes de France le poids de l'actuelle taxe sur les logements vacants est plus faible que leur taxe d'habitation sur les résidences secondaires. Certains propriétaires déclarent ainsi leurs résidences secondaires comme logements vacants pour payer moins d'impôts.

"Certains changent même de statut d'une année sur l'autre en fonction de la fiscalité locale", explique la mairie de Paris.

En laissant la main aux communes pour moduler leur taxe sur les logements vacants elles pourront donc lutter plus efficacement contre les abus. Normalement, légalement, il y a une grosse différence aux yeux des impôts: la résidence secondaire est censée être meublée et utilisée au moins plusieurs semaines par an, tandis que le logement vacant est vide et complètement inoccupé. Le fisc peut donc effectuer un contrôle fiscal.

L'exemple de Toronto

Voici quelques-unes des villes où la taxe d'habitation sur les résidences secondaires est plus élevée que la taxe sur les logements vacants. Ainsi cette dernière atteint 17% la première année et 34% les années suivantes dans les zones tendues. Dans le même temps, la taxe sur les résidences secondaires (y compris la surtaxe) atteint 35% à Lyon et Rennes, 38% à Bordeaux, 40% à Nice et à Strasbourg et 45% à Marseille.

À titre d'exemple, au Canada, à Toronto, la fiscalité sur les logements vacants est bien plus lourde que chez nous: 3% de la valeur du bien à payer chaque année. Ainsi pour un logement valorisé 400.000 euros, cela fait donc 12.000 euros de taxe par an. En comparant avec un logement parisien de même valeur, la taxe sur les logements vacants serait actuellement d’environ 6.800 euros maximum et même de seulement 3.400€ la première année de vacance.

Dans certains cas, il y a néanmoins possibilité d'échapper (légalement) à la taxe sur les logements vacants. Si la vacance de votre logement est indépendante de votre volonté car vous ne trouvez ni locataire ni acheteur. Et si le logement nécessite de trop lourds travaux pour être loué (plus de 25% de la valeur du bien).

Certaines raisons légales vous permettent aussi d'échapper à la taxe sur les résidences secondaires. Si vous mettez votre logement à la disposition d'un enfant et qu'il devient donc la résidence principale de son occupant. Si vous l'utilisez pour raison de travail vous pouvez échapper à la surtaxe.

Une remise en cause du droit de propriété?

Le droit de propriété est inscrit dans la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 à l'article 17: "La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité." Le code civil consacre lui aussi le droit de propriété: usus, fructus et abusus. Autrement dit, on a théoriquement le droit d'utiliser le bien pour soi-même (usus), d'en tirer des revenus en le louant pas exemple (fructus), ou bien de ne rien en faire du tout (abusus). Maintenant, le sujet est de trouver le bon équilibre entre l'intérêt général et celui des particuliers propriétaires.

Selon l'avocat fiscaliste Jean-Pascal Michaud, si la fiscalité finit par obliger un propriétaire à vendre, il s'agirait d'une atteinte au droit de propriété. Si elle oblige à louer, cela peut le devenir également, surtout si la location n'est pas rentable pour lui. La ligne sera suffisamment floue pour obliger sans doute le Conseil constitutionnel à se prononcer soit en amont soit en aval au cas par cas sur le sujet.

Selon cet avocat fiscaliste, on pourrait imaginer que le Conseil constitutionnel fixe un poids de fiscalité qu'il ne faudrait pas dépasser. Il pourrait par exemple décider d'un montant maximal à la fiscalité globale annuelle pour un même logement (comme 6 mois de loyers).

Marie Coeurderoy