"C'est plus difficile de construire aujourd'hui": pourquoi les maires peinent à lancer de grands chantiers

"C'est plus difficile de construire aujourd'hui." Face au manque de logements en France, les maires disent ne pas vouloir réduire leurs efforts de construction, même si contraintes administratives et échéance électorale n'aident en rien. Après deux ans de construction au ralenti, le secteur immobilier s'inquiète de voir les maires octroyer encore moins de permis de construire à l'approche des élections municipales de mars 2026.
"Les grands projets passent par le prisme de l'élection populaire, donc à la fin du mandat on ne lance plus de gros chantier, c'est aussi un moyen de ne pas empiéter sur le potentiel successeur", explique le maire divers droite de Neuilly-sur-Seine Jean-Christophe Fromantin, à l'issue d'un "forum des élus" organisé au sein du salon immobilier international Mipim à Cannes. Ne restent alors plus que les petits projets, pour ne pas froisser l'électorat avec des bruits de chantier trop intenses et de potentiels nouveaux voisins non bienvenus.
Manque de logements
Les hausses de taux d'intérêt et des coûts de construction ont mis un coup d'arrêt aux créations de logements. Entre 2022 et 2024, le nombre de permis de construire délivrés pour des logements s'est effondré de près de 33% pour tomber à un niveau jamais vu depuis au moins 2000, selon les archives du ministère du Logement.
"On va peiner à faire encore moins en permis de construire", ironise Gil Avérous, maire de Châteauroux et président de Villes de France, association des villes moyennes.
Conséquence: en 2025, les maires abordent l'année pré-électorale avec l'inévitable problématique du manque de logements, qui touche tous les territoires, et du risque de hausse du chômage dans le bâtiment face à la crise économique du secteur. "On sait que l'année avant les municipales est dure", témoigne Alain Taravella, président du promoteur Altarea. Mais cette année on l'aborde de façon plus positive qu'il y a six ans, car on sent la volonté de tout le monde d'arriver" à bâtir des logements, nuance-t-il.
Créer des logements implique des infrastructures
Promoteurs, constructeurs, bailleurs sociaux et élus font en effet part de frémissements de reprise de l'immobilier neuf. "Ce n'est pas que les maires ne veulent pas construire", défend la présidente (divers droite) de la métropole d'Aix-Marseille-Provence, Martine Vassal.
Mais créer des logements "implique des infrastructures à construire", comme des écoles ou des transports publics, et "vue la situation financière des collectivités" ce n'est pas forcément possible, estime-t-elle.
Un deuxième frein à la construction neuve, et pas des moindres selon les édiles, serait la complexité des procédures d'urbanisme, des normes à respecter, ainsi que les blocages liés aux recours déposés contre les projets. La ministre du Logement Valérie Létard a d'ailleurs esquissé des mesures de simplification mardi, que les élus attendent de voir concrètement mises en oeuvre. Elle a aussi indiqué qu'une aide aux "maires bâtisseurs" de 100 millions d'euros sera débloquée pour soutenir financièrement la construction d'écoles et autres dépenses liées à la création de logements.
"Depuis la suppression de la taxe d'habitation ça ne rapporte rien"
Entre difficulté à rendre une opération immobilière viable, "les normes qui s'empilent et les recours qui s'enchaînent, (...) c'est plus difficile de construire aujourd'hui", déplore Camille Gicquel, adjointe au maire d'Argenteuil, en Île-de-France. "La simplification on ne la voit pas!" Toute mesure de "facilitation" est souhaitable pour Joachim Azan, président de la société immobilière Novaxia, "mais il faut s'attaquer à la motivation" des maires à bâtir.
"Quel est l'intérêt des maires à bâtir du logement aujourd'hui?", interroge-t-il. "Cela présente un coût politique, un coût financier et depuis la suppression de la taxe d'habitation ça ne rapporte rien."
Gil Avérous, ex-LR, confirme que "les maires n'ont aucun intérêt à construire des logements sociaux par exemple", en raison de l'absence de taxe foncière perçue et à un potentiel mécontentement du voisinage. Le ministère du Logement a aussi promis un "plan global de soutien aux maires producteurs" pour bientôt.
À Argenteuil, "de grands projets sont sur les rails et le resteront", assure l'adjointe au maire Camille Gicquel, qui s'appuie "sur la charte du logement durable et sur des échanges citoyens". "Lorsque cela amène de nouveaux usages, comme des restaurants, des services de santé, c'est tout de suite beaucoup plus accepté", soutient l'élue.