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TOUT COMPRENDRE - Brexit: ébranlée par la crise sanitaire, l’économie britannique pourra-t-elle résister à un "no deal"?

Comment se porte l'économie brittanique?

Comment se porte l'économie brittanique? - Kenzo TRIBOUILLARD © 2019 AFP

Relativement résistante depuis le vote de 2016, l'économie britannique n'a pas été épargnée par la pandémie de coronavirus, accusant une récession de 22,1% au premier semestre. Alors que l'activité commence tout juste à se redresser outre-Manche, le scénario d'un "no deal" avec le Européens laisse craindre un second choc.

Des deux côtés de la Manche, les milieux d'affaires retiennent leur souffle. Londres et Bruxelles ont ouvert cette semaine le neuvième, et officiellement dernier, cycle de négociations pour tenter de définir les termes de leur relation commerciale post-Brexit. Une session de la dernière chance alors que le Premier ministre britannique Boris Johnson a fixé la date du 15 octobre pour parvenir à un accord.

Les discussions doivent s'achever vendredi avec l'espoir de parvenir au "tunnel" de négociations, ce moment où un accord semble suffisamment proche pour se lancer dans des pourparlers à huis clos et en continu. Sans avancée majeure en revanche, le Brexit, qui sera pleinement effectif à l'issue de la période de transition le 1er janvier 2021, pourrait avoir des conséquences potentiellement désastreuses sur des économies déjà ébranlées par la crise sanitaire. Sur celles des États membres bien sûr, mais aussi et surtout sur celle du Royaume-Uni qui se retrouvera isolé.

> L'économie britannique assomée par le coronavirus

En cas de "no deal", le Royaume-Uni s'exposera au risque de double choc économique. Car l'économie britannique a été lourdement frappée par la pandémie de coronavirus cette année. Au deuxième trimestre, le pays a enregistré la pire récession du continent (- 19,8%), d’après les données dévoilées par l’Office britannique des statistiques (ONS). Un constat qu'il convient de relativiser puisque le gouvernement a pris plus tardivement que ses voisins la décision de confiner la population, si bien que la chute d'activité s'est essentiellement concentrée sur le deuxième trimestre contrairement aux pays, comme la France, qui ont confiné dès le mois de mars.

Pour autant le bilan britannique n'est pas beaucoup plus glorieux si l'on observe cette fois l'évolution du PIB sur les six premiers mois de l'année. Ainsi au premier semestre, le Royaume-Uni a enregistré une récession jamais vue depuis 1955 de 22,1%. Et ce malgré les 25% de PIB injectés dans l'économie par le gouvernement de Boris Johnson pour tenter de limiter la casse. Au final, seule l'Espagne a fait pire (-22,7%) en Europe sur la même période.

Le Royaume-Uni paie notamment la facture d'un confinement qui, bien que tardif, a été particulièrement strict et long, notamment pour les commeres, comme le rappelle La Croix. Un coup fatal pour une économie portée à 80% par le secteur des services.

> La fin du quasi plein-emploi

Seul lot de consolation, la Banque d'Angleterre s'est montrée plus optimiste pour la reprise après un rebond de l'économie de 8,7% enregistrée en juin et de 6,6% en juillet. Pour 2020, elle table désormais sur une récession de -9,5% (au lieu de -14%). L'année prochaine, le rebond devrait atteindre 9%. Le retour au niveau d'avant crise n'est en revanche pas attendu avant 2022. Sous réserve d'une situation sanitaire sous contrôle et d'un Brexit au dénouement favorable.

Sur le front de l'emploi, le taux de chômage britannique a toujours de quoi faire palir la France malgré une augmentation liée à la pandémie à 4,1% en moyenne glissante pour les trois mois achevés fin juillet, contre 3,9% sur les trois mois terminés fin juin. Mais les indicateurs devraient continuer à se dégrader. Depuis mars, le nombre de personnes demandant des indemnités de chômage outre-Manche a bondi de 120% et le taux de chômage devrait grimper à 7,5% d'ici la fin de l'année.

Economistes et milieux d'affaires craignent tout particulièrement un déferlement de licenciements à la fin octobre quand le programme de chômage partiel mis en place par le Trésor pour aider les entreprises à affronter le choc du coronavirus et du confinement prendra fin. Le chancelier de l'Échiquier, Rishi Sunak, a lui même prévenu les Britanniques qu'ils devront s'attendre à des "temps difficiles". "Des centaines de milliers de personnes ont déjà perdu leur emploi, et malheureusement, dans les mois à venir, beaucoup d'autres vont faire de même", a-t-il dit.

> Quel impact du Brexit depuis le vote de 2016?

Pandémie mise à part, l'économie britannique a-t-elle su résister aux nombreuses incertitudes qu'a fait naître le vote sur le Brexit de 2016? Au regard des premiers indicateurs disponibles, le bilan apparaît mitigé. D'abord la croissance semble avoir connu un léger ralentissement. De +1,8% en 2017, elle est passée à +1,4% en 2018. Même chose en 2019, année ayant par ailleurs observé un repli au deuxième trimestre (-0,2%), le premier depuis fin 2012, et une croissance nulle au quatrième.

"La croissance du PIB britannique a été particulièrement volatile au cours de l'année 2019, en partie à cause des reports d'activité liés aux changements de la date de sortie de l'UE", initialement prévue fin mars 2019, avait commenté l'ONS.

Le recul de la croissance dès 2018 s'explique en partie par l'investissement des entreprises qui a reculé sur chacun des quatre trimestres en raison des incertitudes liées aux Brexit. Et l'attractivité du Royaume-Uni a aussi été pénalisée. Doublé par la France en 2019, il a perdu pour la première fois depuis 22 ans son titre de première destination pour les investissements étrangers en Europe, selon l'enquête de EY (Ernst & Young et associés).

Malgré ces signaux inquiétants, les Britanniques ont aussi eu de quoi se rassurer. Notamment parce qu'en termes de croissance, la zone euro n'a globalement pas fait mieux dans un contexte marqué par le coup de frein du commerce international lié à la guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine.

Ensuite, le marché de l'emploi britannique avant la pandémie continuait d'afficher des résultats insolents avec un taux de chômage au plus bas depuis 45 ans et un taux d'emploi historique à plus de 76% sur la période de trois mois achevée fin novembre 2019. Beaucoup craignaient en outre une poussée inflationniste générée par la dépréciation de la livre, elle-même causée par le vote de 2016. Ce qui aurait fait chuter la consommation des ménages. Or, si la livre s'est bien dépréciée, l'inflation est restée maitrisée et a atteint en fin d'année dernière son niveau le plus bas depuis fin 2016 aux alentours de 1,5%. Surtout, les salaires ont continué de progresser plus vite que les prix, à +3,2% sur un an l'an passé.

> Le spectre d'un "no deal" coûteux

Perturbée mais toujours robuste avant la crise sanitaire, l'économie britannique va finalement devoir affronter le Brexit dans un piteux état. Comme ses voisins européens certes, mais le Royaume-Uni sera de facto beaucoup plus isolé. D'autant que les négociateurs britanniques n'ont pas encore réussi à conclure tous les accords de libre-échange qu'ils espéraient, en particulier avec les Etats-Unis. Les Européens ne cessent, eux, de répéter qu'un "no deal" serait plus dévastateur pour le Royaume-Uni, qui exporte 47% de ses produits vers le continent, que pour l'UE, qui n'écoule que 8% de ses marchandises de l'autre côté de la Manche.

Sans accord commercial avec l'Union européenne, le Brexit pourrait même être trois fois plus coûteux sur le long terme que la pandémie de coronavirus pour l'économie britannique, selon une étude du centre de recherche "The UK in a Changing Europe". Il estime qu'en raison du Brexit, la croissance sera plus faible sur une longue période qu'elle ne l'aurait été sans sortie de l'UE. Il évalue ainsi à 5,7% l'impact sur le PIB sur une quinzaine d'années par rapport au niveau actuel, contre 2,1% pour le coronavirus.

> Rétablissement des droits de douanes et des contrôles aux frontières

En cas de "no deal", l'économie britannique sera surtout affectée par le rétablissement des droits de douanes avec des échanges commerciaux régis par les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Si les tarifs européens de base avec les pays tiers sont relativement bas sur de nombreux produits, ils peuvent ponctuellement être très importants: 37,5% sur les produits laitiers, 11,5% sur les vêtements, 22% sur les fourgons et les camions, 10% sur les automobiles...

L'industrie automobile européenne a estimé de son côté qu'un "no deal" entraînerait une chute dramatique des échanges commerciaux de 110 milliards d'euros sur cinq ans (52,8 milliards d'euros pour le Royaume-Uni, 57,7 milliards d'euros pour l'UE). L'UE et le Royaume-Uni pourraient également mettre en place des obstacles non-tarifaires au commerce, comme des quotas, des normes techniques ou sanitaires, ainsi que des textes législatifs favorisant leurs entreprises, ce qui affecterait encore un peu plus les échanges.

Accord ou non, le départ britannique entraînera, dès le 1er janvier 2021, le retour du contrôle des marchandises aux frontières, d'un côté comme de l'autre. Un "no deal" créerait en outre des coûts et une bureaucratie supplémentaires, dont les deux partenaires s'étaient affranchis depuis des décennies. Selon une étude des douanes britanniques publiée en octobre 2019, cette paperasse supplémentaire pourrait coûter 15 milliards de livres (16,5 milliards d'euros) chaque année aux entreprises britanniques et européennes.

Le gouvernement britannique estime pour sa part que dans "le pire scénario", jusqu'à 7000 camions pourraient se retrouver bloqués dans le Kent (sud-ouest) avec jusqu'à deux jours d'attente pour traverser la Manche au 1er janvier. Le "no deal" porterait "un nouveau coup majeur pour l'économie britannique (...) qui se relève à peine du plus grand choc dont on puisse se souvenir", a reconnu Jonhatan Portes, professeur d'économie au King's College de Londres. Avant de tempérer: "Malgré le Brexit, le Royaume-Uni va rester une économie prospère avec des secteurs qui réussissent comme la finance, l'éducation de haut niveau, le juridique, etc.". Selon lui, "le Brexit ne sera pas bénéfique mais ce n'est pas non plus la fin du monde".

Paul Louis avec AFP