BFM Business
Le monde qui bouge

Les Asiatiques surenchérissent sur les Européens pour obtenir plus de gaz américain

placeholder video
Toujours plus de tensions sur les cours mondiaux du gaz. L’Asie de l’Est est en train de surenchérir sur l’Europe de l’Ouest et du Centre pour obtenir plus de GNL d’Amérique du Nord.

Alors que vient de s’achever ici l’été, les prix asiatiques du gaz naturel liquéfié, le GNL, se rapprochent, à grande vitesse, du pic sans précédent constaté en début d’année, lorsque l’Asie du Nord-Est traversait une grande période de froid hivernal.

Il y a une dizaine de jours, Natural Gas Intelligence, une publication spécialisée du secteur aux Etats-Unis, faisait le récit de ces clients asiatiques qui s’alignent aux terminaux nord-américains pour s’approvisionner. Un professionnel au Mexique y explique que, cette année, "c’est tout simplement incroyable".

Sur le marché au comptant, on commence à évoquer une guerre des enchères livrée aux Européens. Cette catégorie d’échanges, dits spots, représente jusqu’à 1/5ème des exportations quotidiennes de GNL américain. L’essentiel relève donc encore de contrats de long terme, mais si la clause de destination n’est pas précisément rédigée, il ne devient alors pas impossible de rediriger la cargaison vers plus offrant.

Les analyses des flux divergent toutefois. L’agence de presse Reuters assurait, il y a peu, qu'ils restaient plutôt stables entre les continents, les décalages d’achats saisonniers façonnant les mouvements actuels. Et si une éviction par le prix existe, cela concerne avant tout l’Inde et le Pakistan, qui se retirent du marché au comptant face à des prix jugés exorbitants.

Néanmoins, un courtier en GNL, cité par le quotidien britannique Financial Times, explique qu'à présent le pouvoir d’achat des acheteurs d’Asie de l’Est s’avère supérieur, y compris à celui des Européens. La Chine et le Japon surenchérissent d'abord parce qu’ils n’ont pas d’alternatives à la hauteur de celles de l’Europe, qui dispose ecnore d’approvisionnements par divers gazoducs.

"Songer à la diplomatie est fallacieux"

Au final, l’arbitrage ne s’effectuera pas autrement qu’au travers de votre place sur le marché. Contacté par BFM Business, un expert auprès du régulateur américain de l’énergie manie l’ironie:

"Les exportations de GNL des États-Unis ne sont pas déterminées par le ministre américain des Affaires étrangères, mais par le destinataire qui paiera le prix le plus élevé".

Pour Tyson Slocum, en la matière, "songer à une forme de diplomatie est fallacieux, car ce sont les marchés du GNL qui fixent les destinations".

Vers qui se tourner alors? L’Agence internationale de l’énergie (AIE), qui défend les intérêts des pays de l’OCDE, a appelé hier la Russie, par communiqué, à "faire plus" pour augmenter la disponibilité du gaz en Europe. A Moscou, le monopole gazier Gazprom rejette encore ce type de demande visant à maximiser les expéditions vers l’ouest du continent. L’agence de presse russe Interfax rapporte que, pour octobre, l’entreprise d’Etat n’a réservé aucune des capacités de transit aux enchères traversant l’Ukraine et un tiers seulement de l’espace proposé par le gazoduc Yamal, via la Pologne.

"Une fois tous les dix ans"

Et puis, en Russie, on ne manque pas de signifier aux Européens leur propre responsabilité dans le déséquilibre qu’ils subissent du fait de l’impréparation structurelle de leur système énergétique.

Le Qatar, producteur central de GNL, est également extrêmement sollicité. Hier lors d’une conférence industrielle à Dubaï, le ministre de l’Energie du Qatar, Saad Sherida Al Kaabi, a fait état d'une "énorme" demande de la part de tous ses clients, qu’ils soient européens ou asiatiques, à laquelle il ne semble pas possible de répondre. D'après lui, "malheureusement", cela est dû au fait que le marché n’investit pas suffisamment dans cette industrie gazière, indépendamment des considérations de transition énergétique et environnementale invoquées par l'AIE.

Dès lors, c’est un éditorial du quotidien économique russe Kommersant qui avance un autre paramètre: il est difficile d’en vouloir aux producteurs, quels qu’ils soient, de chercher ainsi à profiter d’une "telle opportunité de gagner autant d’argent", de celles qui arrivent "une fois tous les dix ans". Elle durera ce qu'elle durera.

Benaouda Abdeddaïm Editorialiste international