Investir dans le lithium : entre extraction polluante et initiatives responsables

L’objectif affiché est clair. D’ici 2050, l’Union Européenne s’est fixé pour ligne de conduite d’atteindre un objectif dit de "neutralité carbone" afin de lutter contre le réchauffement climatique et de limiter l'augmentation de la température moyenne à 2°C (à 1,5°C dans le meilleur des cas).
Une feuille de route dont les industriels se sont également emparés et qui implique, pour la filière des transports et de la mobilité notamment, de concevoir des véhicules dotés de batteries électriques en partie composées de lithium. Sur le papier, le fait de tabler sur le lithium pour verdir un portefeuille d’investissement semble cohérent. Encore faut-il appréhender ce qu’est le lithium et la façon dont il est exploité.
Nouvel "or blanc"
Dans le détail, le lithium est un métal alcalin aujourd'hui qualifié de nouvel "or blanc" et exploité dans deux types de gisements. D’une part, dans des saumures. Il s’agit d’une eau très concentrée en sels qui est pompée dans des nappes souterraines situées principalement en Amérique du Sud. D’autre part, dans des minerais de spodumène qui contiennent du lithium et qui sont exploités dans des carrières situées en Australie. L’Australie qui est aujourd'hui le premier producteur mondial de lithium et extrait plus de 50% de cette ressource.
Aujourd’hui, ce métal fait l’objet de beaucoup de convoitises. Il peut, par ailleurs et dans une certaine mesure, présenter un intérêt pour les investisseurs qui aspirent à verdir leur portefeuille.
La révolution énergétique du secteur automobile a créé une effervescence autour des batteries lithium-ion des véhicules électriques qui offrent une grande densité énergétique ainsi qu’une plus longue durée de vie.
Cette révolution énergétique s’accompagne d’une explosion de la demande pour plusieurs métaux indispensables à leur production. C’est le cas du lithium. Au niveau européen, elle pourrait, selon les projections de BPIfrance, être équivalente en 2030 à la production mondiale de 2019. Mécaniquement, tout cela a fait monter les prix. Le prix de la tonne de carbonate de lithium a été multiplié par 7 en un an. Elle avoisine aujourd’hui les 45.000 euros, contre autour de 6.400 euros il y a un an.
Répondre à l’augmentation de la demande
Si l’on se tourne du côté des investisseurs, le lithium pourrait offrir un potentiel de croissance important et donc d’investissement dans les années à venir grâce à l’industrie électronique (téléphones, ordinateurs portables, etc.) et surtout grâce à l’industrie automobile et ses batteries électriques. En 2021, 5,7 millions de voitures électriques ont été vendues dans le monde selon une étude de Bloomberg, contre 3,1 millions en 2020.
La Chine de son côté pourrait atteindre 6 millions d’unités de véhicules électriques vendues par an en 2025. Elle devrait donc continuer à importer du lithium de certains pays comme l’Australie qui en produit davantage et à moindre coût.
Selon la Banque Mondiale, il faut tabler sur une production de minéraux comme le graphite, le lithium et le cobalt qui pourrait augmenter de près de 500% d'ici à 2050, pour répondre à l'augmentation de la demande de technologies énergétiques propres. C’est dire si ce marché apparaît porteur pour les investisseurs.
Atteindre la neutralité carbone
Mais concevoir des véhicules électriques pour limiter l’impact environnemental de la mobilité et des transports et répondre ainsi aux enjeux de la transition écologique est une chose, extraire de façon écologique un métal tel que le lithium en est une autre. Ce processus se révèle, en effet, extrêmement polluant. Aussi, espérer investir responsable en tablant sur le lithium semble complexe.
Pourtant, la neutralité carbone visée par l'Union européenne, qui consiste à ne pas émettre plus de gaz à effet de serre que le monde ne peut en absorber, nécessite de faire évoluer le paysage énergétique en accélérant le déclin de la demande en combustibles fossiles au profit des énergies renouvelables.
Or, les énergies fossiles constituent encore 80% des énergies primaires consommées dans le monde et sont responsables de 70% des émissions de CO2. De son côté, l’ensemble de l’industrie minière est aujourd’hui responsable de seulement 11% des émissions de CO2 de la planète. Le rapport gains bénéfices penche donc clairement en faveur des métaux. C’est la raison pour laquelle le fait d’investir sur une ressource comme le lithium peut apparaître responsable. Ce d’autant plus qu’il existe aujourd’hui des initiatives qui laissent présager que les conséquences environnementales liées à l'extraction du lithium pourraient ne plus constituer un problème dans les années à venir.
Investir dans le lithium, un cheminement complexe
Il existe aujourd’hui des sociétés, à l’instar de la deeptech française Adionics, qui se positionnent comme un acteur vertueux de l’extraction du lithium. Cette société a mis au point un procédé unique au monde d’extraction non polluante pour récupérer du lithium. Elle est ainsi parvenue à lever pas moins de 7 millions d’euros l’été dernier pour industrialiser sa technologie de "Clean Lithium" au service de la mobilité verte. Et ce, dans le cadre du Programme d’investissements d’avenir de BPIfrance. Mais ces initiatives si prometteuses soient-elles ne simplifient pas pour autant la tâche des investisseurs qui souhaitent miser sur cette ressource.
Investir directement dans le lithium reste difficile. Notamment parce que ce métal n’est pas coté sur des places financières spécialisées dans les matières premières accessibles à des particuliers. Il n'existe pas non plus d'ETF répliquant au sens strict l'évolution du prix du lithium. Il y a cependant des ETF qui surfent sur la tendance lithium, comme l'ETF "Global X Lithium", qui reproduit l'évolution d'un panier d'actions d'entreprises liées à ce secteur (dont le chimiste Albemarle ou le spécialiste des véhicules électriques Tesla). Il reproduit ainsi la performance de l'indice Solactive Global Lithium.
Il est également possible de prendre des parts dans de grandes entreprises qui exploitent, produisent et/ou extraient du lithium. Le moyen le plus direct pour investir en Bourse sur ce métal demeure, par conséquent, celui d’acheter des actions de mines de lithium.
L'autre option consiste à acheter des actions de sociétés qui se révèlent plus indirectement impliquées dans le lithium. C’est le cas par exemple des actions de sociétés qui interviennent dans le processus de fabrication des batteries de voitures électriques ou d’autres appareils.
Risque de surproduction?
Nombre d'analystes sont quelque peu réservés concernant l’évolution sur le long terme du marché du lithium. Et ce, en partie, à cause du risque lié à la surproduction de ce métal dans les années à venir.
L’autre danger de cet investissement est, lui, lié au risque technologique. Cette matière première pourrait ne pas toujours rester indispensable dans la production des batteries. Certaines recherches misent déjà sur d'autres technologies qui pourraient ne plus avoir besoin d'intégrer le lithium dans leur fabrication. C’est le cas des batteries au sodium, au souffre ou encore aux algues.
Les spécialistes s'accordent sur le fait qu'il n'y a, a priori, pas lieu d'anticiper un ralentissement de la croissance du marché des batteries à cause d'un manque de matières, du moins pas dans les quinze ans à venir.
Il n'empêche que les prix ne cessent de croître, que l'offre est sous tension et que de nouvelles technologies pourraient venir remplacer le lithium dans la composition des batteries. Tout l'enjeu est donc de réussir à déterminer si oui ou non ce métal manquera à l'industrie dans les années à venir faute de capacité d'extraction et de transformation suffisante.
Autosuffisance européenne limitée
Avant d’investir dans le lithium, mieux vaut considérer l'ensemble de ces aspects. D’autant que selon le rapport Varin consacré à la sécurisation de l'approvisionnement en matières premières minérales publié début janvier, l’autosuffisance européenne en minerais stratégiques pour la conception de batteries électrique pourrait ne pas dépasser 30% en 2030.
Au final, donner du sens à ses investissements en tablant sur le lithium peut s'inscrire dans une certaine logique. Toute la question reste celle de savoir si cette stratégie peut se révéler payante à long terme.
