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Les banques sont-elles préparées au plus grand transfert de richesses de l’histoire?

Edition "Millennials" du Monopoly

Edition "Millennials" du Monopoly - Hasbro / Wall Mart

[AVIS D'EXPERT] Les millennials sont en passe de devenir la génération la plus riche de l'histoire. Ce qui ne sera pas sans conséquences pour les banques. Décryptage avec notre expert Guillaume Almeras, fondateur du site de veille et de conseils Score Advisor.

Au cours des vingt prochaines années, nous allons sans doute vivre le plus grand transfert intergénérationnel de richesses de l’histoire. Rien qu’aux Etats-Unis, on parle de près de 90.000 milliards d’actifs que les "millennials" (nés entre 1980 et 2000) vont hériter de leurs aînés boomers (nés entre 1940 et 1965) et plus (nés entre 1920 et 1940).

Bien entendu, les autres pays développés connaîtront le même phénomène. Et si les chiffres cités doivent être pris avec précaution (les actifs à céder, essentiellement immobiliers et boursiers, sont évidemment soumis à de possibles fortes variations de marché), ils n’en illustrent pas moins que les millennials pourraient bientôt représenter, comme cela a été dit, la génération la plus riche de l’histoire.

Bien entendu, ce transfert de richesse aura d’importantes conséquences sur de nombreux secteurs économiques et, puisque l’on parle du transfert d’actifs financiers, les banques sont particulièrement concernées. Pourtant, combien d’entre elles s’y préparent? Combien d’entre elles y préparent leurs clients?

Alors que les règles, notamment fiscales, qui s’appliquent aux transmissions peuvent rapidement devenir complexes et requièrent l’utilisation de produits sophistiqués, dont seule une bonne dose d’innovation pourra permettre d’élargir l’emploi à un public de masse, les banques réservent traditionnellement cette ingénierie aux foyers les plus aisés. Dès lors, la question ne peut être évitée: ceux qui bénéficieront d’un transfert de richesse historiquement sans précédent se tourneront-ils prioritairement vers les banques classiques pour le gérer?

Une confiance pas forcément acquise

Aux Etats-Unis, plusieurs constats amènent à en douter. Qu’il s’agisse de la concurrence que subissent, depuis la remontée des taux, les établissements classiques de la part de néobanques et d’autres intervenants (comme Walmart) pour ce qui concerne les simples dépôts. Qu’il s’agisse encore du poids qu’ont acquis des robots-conseillers comme Betterment ou Wealthfront dans la gestion de patrimoine et la pression qu’ils imposent aux banques quant à la rémunération de cette activité. Ou qu’il s’agisse enfin de la démocratisation du trading (actions, métaux, cryptos) que de nouveaux acteurs comme Robinhood ont su initier.

La France n’a pas encore connu des phénomènes de cette ampleur mais les mêmes tendances de fond y apparaissent.

Ayant trop tendance à considérer que la confiance de leurs clients leur est acquise, les banques ont du mal à reconnaître que le conseil financier est soumis à de nombreuses évolutions et que, au moins chez les plus jeunes générations, il ne passe plus prioritairement par les banques. Il y a déjà cinq ans, l’une des premières banques américaines, Wells Fargo, constatait que seulement 16% de ses clients âgés de 25 à 35 ans avaient couramment rapport avec l’un de ses conseillers.

Autre indicateur glané dans la dernière étude Ifop 2024 "Les Français, leur banque, leurs attentes" commanditée par la Fédération bancaire française: alors que les 65 ans et plus sont 72% à consulter le site de leur banque au moins une fois par semaine, on ne compte que 60% des millennials et 44% des 18-24 ans. Les sites restent pourtant bien plus un relais de conseil que les applis.

Arrivée des coachs financiers

Aujourd’hui, les clients s’informent, se documentent en ligne et puisent des avis sur les réseaux sociaux. Des coachs financiers y sont ainsi apparus, dont le rôle est tout à fait nouveau dans un pays comme la France. Au Royaume-Uni, TikTok est devenu la première source d’information financière pour les jeunes. C’est que ceux-ci entendent être beaucoup plus actifs dans la gestion de leurs finances et surtout de leur épargne. A cet égard, ils montrent une appétence nouvelle pour le risque. Un nouveau rapport à l’argent s’est installé, qu’a consacré la mode des crypto-devises ces dernières années. Une approche plus décontractée et exploratoire et qui cherche, comme avec les jeux, une certaine jubilation.

Comme vis-à-vis de l’alimentation ou du sport, notre rapport à l’argent intègre désormais de plus en plus différentes influences et sources d’information, en même temps qu’il cherche à adopter des objectifs concrets, susceptibles de favoriser un esprit de compétition avec des pairs.

Face à ces attentes, les banques ont lancé, depuis une dizaine d’années, des applis de gestion des finances personnelles (ou PFM, Personal Finance Management), qui fournissent une assistance pour mieux gérer ses dépenses et ses comptes bancaires. Pour les banques, c’est un type de conseil tout à fait nouveau, qui généralise un suivi analytique des comptes qui n’a rien en lui-même de nouveau mais dont la généralisation et la disponibilité permanente introduisent un nouveau rapport de conseil.

Toutefois, souvent limités à quelques consultations et opérations de base et lancés presque comme des substituts automatisés aux chargés de clientèle, en tous cas à part d’eux, ces outils, malgré une utilité certaine, n’ont pas véritablement percé. Les études montrent qu’un tiers des Français savent (souvent à peu près) de quoi il s’agit, tandis que moins de 10% les utilisent vraiment (les taux d’abandon sont très élevés et les abandons souvent très rapides, dans les trois à cinq jours qui suivent la première ouverture).

En somme, ce transfert intergénérationnel n’est pas forcément une très bonne nouvelle pour les banques. Depuis vingt ans, celles-ci se sont focalisées sur les paiements et les crédits, avec les jeunes actifs pour principale cible. Or ce transfert annonce plutôt que de grands basculements risquent de survenir plutôt du côté de l’épargne et des plus de cinquante ans.

Par Guillaume Almeras, fondateur du site de veille et de conseils Score Advisor