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Vincent Bolloré avance masqué à l’assaut de Rubis

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Deux investisseurs demandent la révocation de la moitié du conseil de surveillance de la société de la spécialiste de produits pétroliers. L’entrepreneur Patrick Molis mène la fronde avec, en coulisse, le soutien des autres actionnaires: Vincent Bolloré et la famille Dassault.

La bataille a commencé entre Rubis et ses actionnaires. Jeudi, le spécialiste du stockage de pétrole a publié un communiqué au vitriol contre l’un de ses assaillants. L’entrepreneur Patrick Molis, qui a pris 5,3 % du capital fin mars, demande à occuper la moitié des sièges du conseil de surveillance de la société. A l’occasion de l’assemblée générale qui se tiendra le 11 juin, il propose d’évincer six administrateurs sur dix et de nommer quatre nouveaux membres, dont lui-même.

"Les inquiétudes croissantes de certains actionnaires concernant la gouvernance de Rubis ont contribué à la baisse importante de l’action entre 2018 et 2023", justifie-t-il dans sa résolution. Le cours de Bourse de la société a chuté de moitié en quatre ans avant qu’il ne déclare sa participation, fin mars. Suivi, 24 heures plus tard, par Vincent Bolloré qui a aussi pris 5 % du capital. Patrick Molis pointe du doigt la gérance de Rubis, occupée par Clarisse Gobin, fille du fondateur Gilles Gobin. Cette succession n’a jamais été soumise au vote des actionnaires alors que la société est sous le statut de commandite qui confère aux gérants les pleins pouvoirs.

A ses côtés, l’investisseur canadien, Ronald Sämann demande un siège au conseil de surveillance. Lui cible l’essor dans les énergies renouvelables à travers "l’acquisition de Photosol, à un niveau de valorisation élevé et une rentabilité très faible", réalisée en 2021, écrit-il dans sa requête. Il a déclaré détenir 5% de Rubis dans la foulée des deux autres actionnaires.

Vincent Bolloré dans le sillage de Patrick Molis

La société, silencieuse depuis un mois et demi, a répliqué jeudi à l’offensive de Patrick Molis en qualifiant "cette démarche brutale, sans volonté de dialogue, et hostile". Le conseil de surveillance s’est réuni en catastrophe jeudi soir. Nul doute qu’il recommandera aux actionnaires de Rubis de ne pas voter pour ces propositions. En revanche, il devrait accepter l’entrée de Ronald Sämann pour tenter de "casser le front" des contestataires. "Il est actionnaire depuis 2006 et a déjà manifesté ses critiques à l’assemblée générale de l’année dernière", justifie un proche de la société.

Mais de sources concordantes, Patrick Molis et Ronald Sämann "ont tout intérêt à voter chacun pour l’autre afin de peser sur la gouvernance". L’entrepreneur français, qui a opéré dans le stockage de pétrole, le transport maritime et l’exploitation d’hélicoptère pour l’Armée, semble agir comme meneur de la fronde. Il réclame quatre administrateurs, qu’il serait légitime de décrocher s’il avait 20% du capital. Un "bloc" qu’il pourra facilement fédérer grâce au soutien des deux autres actionnaires: la famille Dassault (5,7%) et Vincent Bolloré. "Evidemment qu’ils ont des objectifs similaires", s’amuse un proche du milliardaire breton. "Le silence de Bolloré est assourdissant mais il est malin, il laisse Molis aller au combat", ajoute un proche du dossier. Contacté, son entourage n’a pas souhaité commenter.

Le milliardaire n’assumerait plus sa réputation de "raideur"? "En ce moment, avec la polémique autour du renouvellement des fréquences de ses chaines télé CNews et C8, il a plutôt intérêt à se taire" veut croire un bon connaisseur du dossier. En plus du soutien de Vincent Bolloré, Patrick Molis n’aura pas de mal à décrocher les votes des Dassault. "C’est une bonne nouvelle que le cours de Bourse réagisse" nous assurait récemment un proche de la famille. Depuis cette récente agitation, l’action a bondi de 23 euros à 32 euros.

Yannick Bolloré, président du conseil de surveillance de Vivendi – 11/03
Yannick Bolloré, président du conseil de surveillance de Vivendi – 11/03
17:38

La fin de la commandite en ligne de mire

Actionnaire historique de Rubis depuis sa création, son représentant au conseil de surveillance a démissionné en juin 2023, après une assemblée générale déjà agitée. Dans la foulée Patrick Molis, ancien directeur financier du groupe Worms, a commencé à ramasser en Bourse des actions de la société, comme Vincent Bolloré le faisait en son temps.

Les frondeurs ne craignent pas la réplique de Rubis. L’un de ses administrateurs, Marc-Olivier Laurent, n’est autre que le président de Rothschild qui épaule la société. L’intéressé ne nous a pas répondu. Or, l’an passé, la banque d’affaires a ouvert son capital à plusieurs grandes fortunes françaises dont… les Dassault! Difficile d’imaginer qu’elle jouera contre les intérêts de ceux qui l’ont aidé à sortir de la Bourse. "C’est un jeu de dupe où tout le monde sait que la gouvernance va évoluer et la commandite va sauter, résume une source proche du dossier. La seule question est de savoir quelle part du capital les gérants vont réussir à négocier en échange". Une perspective qui pourrait intervenir pour l’assemblée générale de 2025.

Matthieu Pechberty Journaliste BFM Business