La SNCF veut confier au privé l'entretien de petites lignes

La gare de Furiani (Corse) - Wikimedia commons cc
La SNCF veut proposer aux régions toute une palette de solutions pour réduire les coûts de rénovation et d'entretien des "petites lignes", acceptant même, à leur demande, d'en confier une dizaine au privé.
"On a rassemblé nos savoir-faire dans un catalogue", a expliqué vendredi 5 octobre à l'AFP le PDG de SNCF Réseau, Patrick Jeantet. Son "kit méthodologique" recense une cinquantaine de possibilités. Et les élus pourront choisir, au cas par cas. "Avec toutes ces mesures, on doit pouvoir gagner une trentaine de pour cent" par rapport aux coûts actuels, estime M. Jeantet. "L'idée est de faire moins cher, pour évidemment sauver les lignes!"
Une seule navette qui fait des aller-retours
Le responsable du réseau national n'aime d'ailleurs pas le terme de "petites lignes", un ensemble hétéroclite de voies ferrées qui appartiennent officiellement aux catégories 7 à 9 de la nomenclature de l'Union internationale des chemins de fer (UIC), basée sur le poids des trains de marchandises. "Derrière cette terminologie se cachent beaucoup de variétés, des maillons d'axes nationaux comme Paris-Cherbourg, des dessertes régionales comme Rennes-Saint-Malo, des dessertes périurbaines comme les trains de l'Ouest lyonnais... Et puis on a de vraies petites lignes, qui sont des dessertes rurales, comme Rodez-Séverac" dans l'Aveyron, énumère-t-il.
La SNCF parle donc joliment de "desserte fine du territoire". Sont concernés 9.137 km ouverts aux voyageurs - soit 32% du réseau national -, dont 270 km voient aussi passer des TGV et 2.350 km des Intercités. Ces petites lignes sont souvent en mauvais état. 39% voient passer moins de 10 trains par jour, et seulement 24% plus de 20. Leur sort n'était pas directement concerné par la réforme ferroviaire adoptée au printemps, mais elles ont accaparé une bonne partie des débats. Ce sera finalement aux régions de décider si elles veulent toutes les garder. Avec moins de 10 trains par jour, suggère par exemple Patrick Jeantet, on peut faire circuler des navettes, avec un seul train qui fait des allers-retours. Ce système permet de supprimer quasiment toute la signalisation et d'économiser "beaucoup d'argent".
Choix politique
Autre possibilité: mettre à voie unique des tronçons de double voie trop peu fréquentés, comme entre La Roche-sur-Yon et La Rochelle. Avec une économie de 40% à la clef par rapport au devis initial. "On rénove une des deux voies, et la deuxième voie, on la rénovera quand le trafic aura augmenté", indique le patron de SNCF Réseau. Evidemment, il faut gérer le côté politique, reconnaît-il: "On n'aime pas dire qu'on ne va mettre (en circulation) qu'une voie sur deux." "Mais il faut être très clair. Si on veut baisser les coûts de ces lignes-là, il faut regarder toutes les hypothèses", plaide-t-il. "Or, le problème de ces petites lignes, c'est qu'on ne nous met pas assez de trains dessus. Qu'on nous mette plus de trains! Car les péages qu'on reçoit, vu le faible nombre de trains, sont très loin de couvrir les frais de maintenance. On creuse le déficit de SNCF Réseau."
Il a aussi dans sa besace de nombreuses solutions techniques, comme l'utilisation de grave-bitume (un mélange de bitume et de granulats) au lieu du ballast, l'installation de systèmes d'électrification plus léger -ou le choix d'un matériel roulant hybride, qui passerait avec des batteries là où il est particulièrement coûteux de (ré)installer une ligne aérienne-, ou encore "des systèmes de signalisation numérique allégés".
Test sur des lignes très secondaires
Enfin, Patrick Jeantet entend répondre favorablement à la demande de certaines régions en sous-traitant la maintenance et l'exploitation de quelques petits bouts de petites lignes à "des gestionnaires d'infrastructures conventionnés", privés. "En toute transparence avec les régions, on fait un appel d'offres dans lequel on choisit un consortium ou un industriel qui va nous faire à la fois la maintenance et l'exploitation de l'infrastructure. On va le proposer sur une dizaine de lignes, qui sont des lignes en antenne" (des culs-de-sac), détaille-t-il. "On retiendra celui qui a la meilleure offre qualité/prix. Et là, on aura un vrai prix de marché, et on pense que ça peut baisser les coûts", ajoute-t-il. Mais, assure-t-il, il ne s'agit pour l'instant que de "tester" cette solution sur des lignes très secondaires.
Rejet des syndicats
Sans surprise, les syndicats CGT et SUD de la SNCF ont critiqué le projet de recourir au privé. Pour la CGT, "il n'y a pas d'économies à attendre de la sous-traitance qui coûte plus cher que les cheminots sur toutes les tâches qui leur sont confiées, sauf s'ils ne réalisent pas la maintenance prévue". "Dans ce cas, il ne s'agit pas seulement d'une sous-traitance mais d'un abaissement du niveau de sécurité", soit "deux orientations néfastes", a déclaré à l'AFP le secrétaire général de la CGT-Cheminots, Laurent Brun. Ce projet "confirme que l'État ne met pas les moyens pour le maintien des petites lignes comme l'avait pourtant promis la ministre" des Transports, Élisabeth Borne, a ajouté le responsable du premier syndicat de la SNCF.
Avec ce projet, a estimé SUD-Rail, "le président de SNCF Réseau démontre que son objectif est bien de supprimer l'emploi et de faire entrer le moins-disant social dans la gestion, la maintenance et la réparation des voies". "C'est une véritable remise en cause de ses propres salariés", a considéré Erik Meyer, porte-parole du troisième syndicat de la SNCF. Et "aucune leçon" n'a été "tirée de cette forme d'exploitation qui a précipité la chute et la renationalisation du réseau anglais", a-t-il déploré.