"On fait du en même temps": comment le PDG de Totalénergies justifie les investissements dans le pétrole

A 102 millions de barils par jour, la demande mondiale de pétrole a atteint un niveau record en 2023. Record qui devrait, sauf surprise, être battu dès cette année alors que l'Agence internationale de l'énergie anticipe une augmentation continue de la consommation d'or noir au moins jusqu'en 2030.
C'est cette évolution de la demande qu'invoque Totalénergies pour justifier ses investissements pétroliers, malgré la nécessaire transition énergétique. Arrêter de produire du pétrole, "on ne peut y arriver que si on change la demande, c'est là qu'il faut agir", assure à BFM Business le PDG du groupe pétrolier, Patrick Pouyanné, depuis le Forum économique mondial de Davos.
Or pour l'heure, si la consommation ne baisse pas, c'est "pour une raison toute simple: la population de la planète augmente. Sur la période 2000-2023, on a réussi à décorréler la croissance de demande de pétrole de la croissance mondiale, (...) mais par contre, ça suit la croissance de la population", poursuit le dirigeant. Avant de détailler: "Aujourd'hui, il y a une population qui croît, qui a besoin d'énergie, dans les pays émergents. Et le pétrole est l'énergie la plus facile à utiliser. Le vrai sujet pour la transition énergétique, c'est comment on inverse cette tendance?"
C'est pour cette raison "qu'on est obligé de faire du 'en même temps' si je puis me permettre: il faut qu'on continue à entretenir l'énergie qui fait vivre aujourdhui, et en même temps on a décidé d'investir lourdement (dans les énergies propres) parce qu'en 2023, on aura mis 5 milliards de dollars dans l'électricité et les renouvelables donc ce n'est pas une petite diversification. Un tiers de nos investissements va dans la transition cette année", ajoute Patrick Pouyanné.
"On a l'impression qu'on n'a pas progressé alors qu'on a beaucoup progressé"
Pour le patron de Totalénergies, il est impératif de "changer la façon de consommer de l'énergie" si le monde veut sortir du pétrole et réussir la transition. Cela passera par de nouvelles technologies comme les véhicules électriques "qui vont introduire une rupture qui fait qu'on ne va plus consommer de pétrole".
En revanche, s'il n'y a pas d'autres "ruptures technologiques" permettant une baisse de la demande, "il faudra qu'on consomme moins d'énergie". Ce qui est à ce stade difficile à imaginer compte tenu de la demande des pays émergents qui "ont besoin d'énergie pour la croissance économique" et pour "sortir les gens de la pauvreté", martèle-t-il.
Peut-on répondre à cette demande par les énergies renouvelables? L'idée est séduisante mais difficile à mettre en place, selon Patrick Pouyanné: "On investit dans les énergies renouvelables, mais la croissance de la demande en énergie est plus forte, donc elle absorbe ces énergies décarbonées et le complément, ce sont les énergies fossiles, ce qui fait qu'en 2000, les énergies fossiles représentaient 82% du mix mondial, contre 80% cette année. On a l'impression qu'on n'a pas progressé alors qu'on a beaucoup progressé". Par ailleurs, le basculement vers les énergies renouvelables a un coût et "dans les pays développés, on veut que cette transition se fasse sans hausses de prix".
"On perd chaque trimestre l'équivalent d'un Totalénergies en pétrole"
Le PDG de Totalénergies a néanmoins salué l'appel de la COP28 à multiplié par trois les capacités de production d'énergies renouvelables afin que "la croissance annuelle de la demande arrête d'être couverte par le fossile mais qu'elle soit couverte par des énergies nouvelles. C'est le grand challenge".
Il rappelle à ce titre que son groupe s'est engagé dans la voie de la diversification en investissant sur le marché de l'électricité et des énergies renouvelables parce que "profondément, on pense que les énergies fossiles à un moment vont se mettre à décliner" et que "les innovations technologiques vont s'imposer". "On ne peut pas lutter contre l'innovation, donc la demande va bouger".
D'ailleurs, le mouvement de désengagement progressif du pétrole a bel et bien commencé chez les géants pétroliers, assure Patrick Pouyanné: "Il y a quelque chose dans cette économie pétrolière que les gens ne savent pas: c'est que chaque année, nous perdons 3 à 4% de la capacité mondiale. On perd chaque trimestre l'équivalent d'un Totalénergies en pétrole".
Et si les prix des énergies fossiles ont monté ces derniers temps "c'est justement parce que des industries comme les nôtres investissent moins dans le pétrole et dans le gaz", explique le dirigeant. Totalénergies continue tout de même d'investir dans le pétrole pour s'adapter à la demande, mais moins qu'avant, assure le PDG: "En gros, en 2015, Totalénergies investissait 25 milliards dans le pétrole, cette année, c'est 12 à 13 milliards, deux fois moins".