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Défense

Programme Scorpion: la nouvelle génération de blindés français face aux risques de la haute intensité

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Lancé il y a dix ans, le programme Scorpion doit renouveler les véhicules blindés de l'armée de Terre et les mettre en réseau pour démultiplier leur force, mais son adaptation à un conflit de haute intensité comme en Ukraine suscite des interrogations.

Griffon, Jaguar, Serval... ces blindés à roues de nouvelle génération commencent à équiper en nombre les régiments en remplacement des antiques Véhicules de l'avant-blindé (VAB) et des AMX-10RC entrés en service dans les années 1970 et 1980. Ces nouveaux engins ont un point commun: le programme Scorpion, un réseau numérique pour le combat collaboratif.

"Plus de 4000 engins, déjà déployés ou à livrer ces prochaines années, mieux protégés, plus mobiles et performants", a déclaré sur X le général Pierre Schill, Chef d'état-major de l'armée de Terre.

"Plus de 1000 véhicules déjà livrés et mis en service sur les 4000 attendus pour 2035, date de maturité du programme", précise la DGA (Direction général de l'armement).

Ce "programme a été pensé comme beaucoup plus large", pas comme un simple remplacement des matériels, avec la notion d'"infovalorisation", explique un ancien responsable de la doctrine Scorpion.

"Le cœur de Scorpion, c'est cette capacité de transmettre et de valoriser l'information", abonde le colonel Jacques de Sorbier, officier de programme à l'armée de Terre.

Chaque véhicule est bardé de capteurs, d'un système d'information embarqué baptisé SICS et d'une radio capable de transmettre des données permettant de créer une sorte d'intranet mobile pour partager les informations entre les éléments engagés sur le terrain.

Un système de systèmes

Les positions des forces amies sont ainsi indiquées en temps réel et les ordres transmis via l'écran du SICS. "Un engin qui se fait détecter par l'ennemi, par un pointage laser par exemple, va immédiatement alerter de façon automatique les autres engins par la radio Contact", explique Charles Beaudouin, qui a chapeauté le programme à l'état-major de l'armée de Terre quand il était général.

"Un système de systèmes modernes, complexe comme Scorpion, il n'y en a pas d'autre, on est vraiment au meilleur niveau avec les Américains", se félicite-t-il.

Le programme prévoit la livraison de 1.800 Griffon, 2.000 Serval et 300 Jaguar. Fin 2025, 45% des véhicules auront été livrés. Après les blindés à roues ainsi que le char Leclerc rénové, les hélicoptères ainsi que les canons Caesar doivent eux aussi être reliés à cette "bulle" Scorpion.

Pour l'ancien responsable de la doctrine Scorpion, "aujourd'hui, on parle d'infovalorisation, en 2030 on parlera de combat collaboratif". Cette approche a séduit la Belgique, qui avec le partenariat stratégique CaMo, a rejoint le programme Scorpion afin de pouvoir s'insérer dans des dispositifs militaires français.

Guerre électronique

Mais pour Léo Péria-Peigné, chercheur à l'Institut français des relations internationales (Ifri), "le concept demande à être confronté au feu".

"Dans quelle mesure est-il adapté à un conflit de haute intensité, notamment à la guerre électronique comme on le voit en Ukraine", interroge-t-il .

Avec tous leurs capteurs et leur mise en réseau, les blindés Scorpion émettent un "rayonnement électromagnétique assez important, qui, sans être traçable ou interceptable, est détectable", explique-t-il. Au risque de se faire cibler ou brouiller. La question de "la résilience de cette numérisation au brouillage massif" se pose également pour Charles Beaudouin, rappelant que le programme "est de son temps, il a été pensé en 2006".

"Scorpion, dans l'état dans lequel il arrive dans les unités aujourd'hui a été pensé pour les opérations de l'époque, c'est-à-dire les opérations extérieures" comme en Afghanistan ou au Sahel, juge le chercheur de l'Ifri.

Si le programme prévoit par exemple des mortiers embarqués dans le Griffon, ce n'est pas le cas de la défense sol-air ou de la lutte antidrone, abonde Charles Beaudouin: "au moment où Scorpion a été lancé, la défense sol-air n'était absolument pas la priorité".

"Les Griffon et Jaquar ont pris les enseignements de l'Afghanistan: des véhicules à roues protégés contre les IED (les mines artisanales, ndlr), très hauts... Mais on est en train de redécouvrir la boue des champs de bataille ukrainiens", avec des engins fortement blindés et chenillés, explique-t-il. Pour l'ancien général, "le Griffon et le Jaguar feront du combat de haute intensité, mais vu leur niveau de protection et d'agression, ils ne seront peut-être pas au centre du dispositif".

Pascal Samama
https://twitter.com/PascalSamama Pascal Samama avec AFP Journaliste BFM Éco