La France a dépensé 6 milliards d'euros pour son arsenal nucléaire en 2024 (dans la fourchette basse des 8 pays qui ont la bombe)

Le président français Emmanuel Macron (à gauche) et le capitaine du nouveau sous-marin nucléaire français « Suffren », Axel Roche, assistent à la cérémonie officielle de lancement à Cherbourg, dans le nord-ouest de la France, le 12 juillet 2019. Ce monstre d'acier noir de 99 mètres de long porte le nom de Pierre-André Suffren, amiral qui s'est illustré face aux Anglais au XVIIIe siècle - AFP
Les États dotés d'armes nucléaires ont dépensé plus de 100 milliards de dollars pour leurs arsenaux atomiques l'année dernière, selon un rapport de la Campagne internationale pour l'abolition des armes nucléaires (Ican) publié vendredi.
Cet organisme basé à Genève (Suisse) a remporté le prix Nobel de la paix en 2017 pour son rôle clé dans la rédaction du Traité sur l'interdiction des armes nucléaires, entré en vigueur en 2021. Environ 69 pays l'ont ratifié à ce jour. Quatre autres y ont directement adhéré et 25 autres l'ont signé. Mais aucun des États dotés d'armes nucléaires ne s'y est engagé.
D'après l'Ican, qui déplore l'opacité de ces dépenses, le Royaume-Uni, la Chine, la France, l'Inde, Israël, la Corée du Nord, le Pakistan, la Russie et les États-Unis ont ensemble consacré l'an dernier près de 10 milliards de dollars de plus qu'en 2023 pour leurs arsenaux nucléaires.
Les États-Unis ont dépensé 56,8 milliards de dollars, suivis par la Chine avec 12,5 milliards et le Royaume-Uni avec 10,4 milliards, estime l'Ican dans son rapport annuel, qui fait référence. La France se situe en 5e position en 2024 avec près de 7 milliards de dollars dépensés (près de 6 milliards d'euros), en hausse de 13%.

25 milliards en cinq ans pour la France
L'Ican fait par ailleurs le bilan des cinq dernières années de dépenses en matière d'arsenal nucléaire. Les puissances nucléaires ont dépensé près de 416 milliards de dollars sur cette période. Paris est en cinquième position sur la période avec 29,2 milliards de dollars (25,3 milliards d'euros), loin derrière les États-Unis, la Chine, le Royaume-Uni et la Russie.

La France possède moins de 300 armes nucléaires, selon le président Emmanuel Macron. La Fédération des scientifiques américains estime que la France possède 290 armes nucléaires, larguables depuis des avions et des sous-marins. Les sous-marins nucléaires français sont équipés de missiles nucléaires M51 et les avions français peuvent lancer des missiles ASMPA. Le Nuclear Ban Monitor estime que la puissance explosive de l'arsenal nucléaire français équivaut à 1.993 bombes d'Hiroshima.
Le projet de loi de défense français de 2024 a augmenté le budget consacré aux armes nucléaires ("dissuasion") de 750 millions d'euros (812 millions de dollars), pour atteindre un total de 6,4 milliards d'euros (6,9 milliards de dollars) en 2024. Ce montant comprend les coûts annuels des ogives nucléaires et du renouvellement des missiles de croisière à lanceur aérien, des missiles à lanceur sous-marin et des sous-marins à capacité nucléaire.
L'Ican estime que la France a consacré environ 11% de son budget militaire total aux armes nucléaires en 2024, sans compter les dépenses concernant l'avion Rafale qui peut être utilisé pour lancer des armes nucléaires.
"Sept entreprises construisent les armes nucléaires françaises et ont gagné environ 2,7 milliards d'euros pour ces travaux en 2024: Airbus, BAE Systems, Leonardo, Safran, Naval Group, Technicatome et Thales, indique le rapport. Le gouvernement français ne communique pas le montant total des contrats."
Des armes nucléaires américaines hébergées en Europe
Le rapport de cette année s'intéresse aux coûts que supportent les pays qui hébergent les armes nucléaires d'autres États. Ces coûts, déplore l'Ican, sont largement méconnus des citoyens et des élus, et échappent donc à tout examen démocratique.
Bien que cela ne soit pas officiellement confirmé, le rapport, citant des experts, estime que la Belgique, l'Allemagne, l'Italie, les Pays-Bas et la Turquie hébergent des armes nucléaires américaines. La Russie, pour sa part, affirme avoir déployé des armes nucléaires au Bélarus, mais certains experts en doutent, selon l'Ican.
Il existe "peu d'informations publiques" sur les coûts associés à l'hébergement d'armes nucléaires américaines dans les pays européens de l'Otan, regrette l'Ican. Parmi ces coûts figurent ceux liés à la sécurité des installations et à l'entretien des avions capables de transporter des armes atomiques.
"Chaque arrangement de partage nucléaire de l'Otan est régi par des accords secrets", affirme le rapport.
Et pour sa co-autrice, Alicia Sanders-Zakre, "le fait que les citoyens et les élus n'aient pas le droit de savoir que des armes nucléaires d'autres pays sont basées sur leur sol ou quelle part de leurs impôts y est consacrée est un affront à la démocratie".
"Intérêts particuliers"
Huit pays possèdent ouvertement des armes nucléaires: les États-Unis, la Russie, le Royaume-Uni, la France, la Chine, l'Inde, le Pakistan et la Corée du Nord. Israël est largement présumé posséder des armes nucléaires, bien qu'il ne l'ait jamais officiellement reconnu.
Selon les calculs de l'Ican, les dépenses de ces neuf pays pour leurs armes nucléaires en 2024 auraient pu couvrir près de 28 fois le budget de l'ONU.
"Le problème des armes nucléaires peut être résolu, et pour ce faire, il faut comprendre les intérêts particuliers qui défendent farouchement l'option pour neuf pays de tuer indistinctement des civils", a écrit Susi Snyder, coordinatrice du programme Ican.
Le secteur privé a gagné au moins 42,5 milliards de dollars grâce à des contrats portant sur les armes nucléaires rien qu'en 2024, selon le rapport. Ces contrats, dont certains n'expirent pas avant des décennies, représentent au moins 463 milliards de dollars au total, dont au moins 20 milliards attribués l'an dernier, poursuit l'Ican.
"Bon nombre des entreprises qui ont bénéficié de cette manne ont investi massivement dans le lobbying auprès des gouvernements, dépensant 128 millions de dollars dans ces efforts aux États-Unis et en France, les deux pays pour lesquels des données sont disponibles", a expliqué ICAN.
La doctrine nucléaire standard, développée pendant la Guerre froide entre les États-Unis et l'Union soviétique, repose sur l'hypothèse de la destruction mutuelle assurée: l'arme nucléaire ne sera jamais utilisée, car l'État qui en ferait usage le premier est certain de subir en riposte des destructions au moins identiques.
