Stripe, Revolut... Combien valent vraiment les fintechs?

Revolut est valorisée 27 milliards de livres - Revolut
Depuis plusieurs mois, certaines parmi les plus importantes fintechs (Klarna, Checkout) ont enregistré des baisses de valorisation importantes. Et la question s’est récemment posée de savoir ce que valent exactement deux des plus brillantes d’entre elles.
Spécialisé dans les paiements en ligne, créé en 2009 aux Etats-Unis par deux frères irlandais, Stripe a connu un succès fulgurant, avant de bénéficier du développement du commerce en ligne avec la crise sanitaire (60% de hausse de son chiffre d’affaires en 2021).
Cette faveur a néanmoins eu son contrecoup. Avec le retour à la normale, Stripe a licencié 14% de son personnel et sa valorisation a baissé de 28% dès juillet 2022. Plus récemment, Stripe a levé 6,5 milliards de dollars pour procéder à un gigantesque plan de rachat d’actions, au profit notamment de ses fondateurs et employés. De toute manière, Stripe a indiqué qu’elle n’a pas besoin d’un capital aussi important que celui dont elle dispose. Sa valorisation a été ramenée de 95 à 50 milliards de dollars. Mais que signifie de tels chiffres? Comment des dizaines de milliards peuvent-ils ainsi être rayés comme d’un trait de plume? Que vaut exactement Stripe?
Lancée il y a à peine dix ans, basée au Royaume-Uni, Revolut est la néobanque qui a connu le succès international le plus impressionnant. Aujourd’hui, Revolut est valorisée 27 milliards de livres, ce qui, selon ce critère, en fait la troisième banque de détail au Royaume-Uni, après HSBC et Lloyds mais avant Barclays (valorisée 22,1 milliards de livres). Toutefois, cela parait presqu’une plaisanterie! A côté des milliards de résultats dégagés par HSBC l’année dernière, Revolut – qui ne dispose même pas encore d’une licence bancaire au Royaume-Uni - a engrangé 38 petits millions de livres, pour un chiffre d’affaires de moins de 700 millions de livres (ayant d’ailleurs fait l’objet de fortes suspicions de la part du Financial Reporting Council britannique).
Modèle économique rudimentaire
Revolut ne propose pas de crédit, de découvert et n’offre que peu d’assurances. Son modèle économique paraît plutôt rudimentaire (interchanges sur les paiements, abonnements à ses services premium, marges sur le trading d’or et de cryptos, …). A ses côtés, Starling, l’autre néobanque rentable, dont l’offre bancaire est bien plus développée, est valorisée 3,3 milliards de livres. Cela semble plus réaliste. De sorte qu’un article récent de Sifted a pu faire état de doutes en interne et chez les investisseurs quant à la valorisation de Revolut, laquelle pourrait être réduite de moitié. Que vaut donc exactement Revolut?
Comme pour Stripe, il n’y a aucune réponse simple à cette dernière question car les deux fintechs n’offrent guère de points de comparaison, sinon entre elles.
D’abord, toutes les deux ont réussi ce qu’aucune banque n’a jamais pu vraiment faire: elles ont été nativement internationales. Très vite, Stripe a permis de travailler dans 135 devises. Revolut a visé tout de suite un développement paneuropéen et la néobanque envisage aujourd’hui de se projeter en Inde, au Brésil, en Nouvelle-Zélande.
Ensuite, Stripe et Revolut n’ont jamais vraiment cherché à être des banques au sens classique. Grande concurrente de Paypal, Stripe ne mise pas cependant pas sur la gestion de comptes et tente plutôt de développer une plateforme de services pour et entre entreprises. Revolut, de même, poursuit l’objectif d’une "superapp", selon un modèle de banque-plateforme plus proche de celui des géants de l’internet chinois que des banques européennes classiques. C’est ce qui la différencie de sa concurrente N26, elle-aussi nativement paneuropéenne mais qui évolue selon un schéma plus classique de banque en ligne.
Enfin, les deux fintechs n’ont jamais visé le marché bancaire de masse. Elles ont plutôt choisi d’accompagner certains nouveaux modes de consommation.
500 millions de clients potentiels
On peut dire ainsi que, sa clientèle, Revolut est allé la chercher dans les aéroports. Non pour viser les touristes mais les voyageurs fréquents auxquels la néobanque a d’abord proposé de ne plus payer de commissions de change sur leurs dépenses dans d’autres devises et auxquels elle a très vite – détail significatif – facilité l’accès aux lounges. Une population de jeunes cadres, aux profils souvent internationaux ; un segment de clientèle limité à l’échelle de chaque pays mais qu’HSBC, qui vise le même, a pu estimer à près de 500 millions de personnes dans le monde. Une clientèle aisée ou prometteuse de masse (mass affluent) dont, selon un schéma de banque classique, HSBC veut capter les revenus et financer les acquisitions immobilières.
Revolut s’efforce plutôt d’accompagner ses dépenses (nombreux cashbacks, tchat intégré aux virements, partage de dépenses et sous-comptes par destination), de s’occuper de l’argent des enfants et de faciliter les modes de vie (réservations d’hébergements de vacance, projets en matière de billets d’avion et de location de voiture, intérêt pour les cryptos,…). Comme Stripe, Revolut est porté par de nouveaux modes de consommation. Avec succès car, avec les sources de revenus élémentaires que nous avons listées, il faut que les 27 millions de clients de la néobanque utilisent beaucoup ses services et ses moyens de paiement pour qu’elle soit rentable.
Comme banque, Revolut ne vaut sans doute pas grand-chose mais Revolut n’est pas une banque comme les autres. Quant à Stripe, sa dynamique de croissance est suffisante désormais pour ne plus avoir recours aux levées de fonds astronomiques qui ont porté sa valorisation à des sommets. Celle-ci peut donc être fortement réduite sans que cela entache sa stature de nouveau géant des paiements.
Les deux fintechs inventent leur propre modèle économique, ce qui les expose à bien des incompréhensions alors que, sur le marché bancaire, on raisonne toujours en termes de remplacement, de combat des anciens contre les modernes, plutôt que sous la perspective d’un élargissement jusqu’à complète reconfiguration.