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Union européenne

Brexit: ces trois sujets qui bloquent les négociations

Les négociateurs britannique David Frost, à gauche, et européen, Michel Barnier, à Bruxelles le 21 août 2020

Les négociateurs britannique David Frost, à gauche, et européen, Michel Barnier, à Bruxelles le 21 août 2020 - YVES HERMAN © 2019 AFP

Alors qu'il ne reste que quelques jours pour parvenir à un accord post-Brexit, les négociations entre Londres et Bruxelles butent toujours sur la pêche, les questions de concurrence et la gouvernance. Même si des progrès semblent avoir été réalisés ces derniers jours.

En pourparlers depuis plus de trois ans, le Royaume-Uni et l’Union européenne n’ont plus la moindre minute à perdre. Si les deux parties veulent conclure un accord commercial post-Brexit, elles devront impérativement y parvenir dans les prochains jours. A Bruxelles, les négociateurs se laissent jusqu’à la mi-novembre pour trouver un compromis avec leurs homologues britanniques. De sorte que les parlements, à Strasbourg et Londres, puissent disposer d’un délai suffisant afin de ratifier le texte avant que ne s’achève la période de transition le 1er janvier.

A défaut, ce sont les règles de l’OMC, synonymes de droits de douane élevés, qui régiront à cette date les échanges entre les deux camps. Pour éviter ce scénario de rupture sèche potentiellement dévastateur pour les deux économies, Européens et Britanniques se sont mis d’accord pour intensifier les discussions ces derniers jours. La présidente de la Commission européenne, Urusla von der Leyen, a elle-même reconnu jeudi que les négociations étaient entrées "depuis une semaine" dans une "phase critique" et intensive.

Et les premiers résultats semblent plutôt encourageants, Ursula von der Leyen ayant fait état de "bons progrès" avec des échanges bien plus constructifs qu’il y a encore quelques semaines autour des onze tables de négociations. Malgré tout, des divergences demeurent sur certains points cruciaux qu’il faudra très vite régler sous peine de rendre le "no deal" inévitable.

> La pêche

C’est sans doute le sujet sur lequel les discussions sont les moins avancées. Avec le Brexit, le Royaume-Uni entend retrouver la main mise sur ses eaux très poissonneuses dont profitent actuellement les pêcheurs européens. Les Britanniques souhaiteraient notamment contrôler la quantité de poissons que chaque Etat européen pourra pêcher dans leurs eaux et renégocier ces quotas chaque année. Hors de question pour les Européens. Du moins pour ceux qui dépendent le plus des eaux britanniques, à savoir la France, la Belgique, les Pays-Bas, l’Irlande et le Danemark. Pour eux, l’accord post-Brexit doit prévoir un accès de leurs pêcheurs aux eaux britanniques avec une visibilité sur la durée.

L’activité des pêcheurs européens dans les eaux britanniques représente chaque année un marché de 700 millions d’euros environ. Ce qui est presque dérisoire au regard des sommes en jeu dans le cadre des négociations sur l’accord commercial entre l’UE et le Royaume-Uni. Qu’importe, la pêche est devenue un sujet à haute portée symbolique. "Nos pêcheurs ne seront pas la variable d’ajustement du Brexit, ils n’ont pas à faire les frais des choix des Britanniques", rappelait début octobre, Clément Beaune, le secrétaire d’Etat aux Affaires européennes. "Un accord reste possible, mais celui-ci ne se fera pas à n’importe quel prix et certainement pas en sacrifiant les intérêts de nos pêcheurs", avait-il martelé. Avant d’assurer que la France préférerait l’absence d’accord à un mauvais accord.

Les pêcheurs français tirent environ 30% de leurs poissons des eaux britanniques et jusqu’à 60% localement. D’où l’importance pour eux d’y conserver un accès. Dans le même temps, les Britanniques exportent 75% de leurs prises vers le marché européen. Une dépendance au marché unique qui offre un argument de poids aux négociateurs européens pour espérer davantage de souplesse de la part de leurs homologues.

D’ailleurs, l’Union européenne n’exclut pas de faire pression sur le Royaume-Uni en réduisant son accès à certains de ses marchés, dont celui de l’énergie, s’il n’y a pas d’avancées sur la pêche. C’est ce qu’a fait comprendre Emmanuel Macron à l’issue du sommet européen de la mi-octobre: "Le sujet de la pêche représente pour nous 750 millions d'euros. Or, l'accès au marché unique de l'énergie a une valeur économique pour les Britanniques de 750 millions à 2,5 milliards d'euros", a mis en garde le chef de l’Etat.

Pour parvenir à un accord, des concessions devront sans doute être acceptées de part et d’autre sur le sujet sensible de la pêche. "La situation ne restera pas en l’état, mais il faut éviter d’humilier", a confié un responsable européen à l’AFP.

> Concurrence équitable

Depuis le début des négociations, Bruxelles se dit prêt à signer un accord "zéro tarifs, zéros quotas" avec Londres pour l’accès au marché unique européen. A la seule condition que le Royaume-Uni respecte les normes et les règles de l’UE, notamment en matière d’aides d’Etat, pour garantir une concurrence équitable.

Les Européens craignent que le gouvernement britannique ne profite du Brexit pour subventionner les entreprises de certains secteurs stratégiques et réviser à la baisse les normes sociales et environnementales. En somme, de voir un "Singapour sur Tamise" émerger aux portes de l’Europe.

Le président du Conseil européen, Charles Michel, a d’ailleurs reproché à Londres de vouloir accéder au marché unique européen "tout en étant capable de s'écarter de nos normes et réglementations, quand cela lui convient". "Les Britanniques doivent comprendre que s'ils choisissent de diverger sur les normes environnementales ou sociales de l'UE, cela aura des conséquences pour l'accès au marché intérieur de l'UE", avait-il averti le 16 octobre dernier.

Si les discussions ont longtemps été bloquées sur ce sujet, de réels progrès semblent avoir été faits ces derniers jours. D’après les informations du Point, un texte est en cours d’écriture sur la question de la concurrence. Quant aux aides d’Etat, Boris Johnson refuse toujours de s’aligner sur la législation européenne mais aurait accepté une équivalence. "Des détails restent à régler", précise néanmoins l'hebdomadaire.

Par ailleurs, Bruxelles veut se prémunir contre les conséquences d’une régression éventuelle des Britanniques sur les normes actuellement en vigueur et "à plus long terme, contre celle du refus de suivre" si l’UE "décide de renforcer certaines normes environnementales pour respecter l’accord de Paris sur le Climat", ont expliqué deux responsables européens. L’idée défendue par l’Union européenne repose sur la création d’une "clause de sauvegarde" qui lui permettrait d’imposer "de manière unilatérale" des tarifs et quotas pour compenser les conséquences d’une concurrence déloyale dans le cas où le Royaume-Uni déciderait de ne pas s’aligner sur ses voisins.

> Gouvernance

Troisième point majeur sur lequel butent les discussions : la gouvernance. Il s’agit ici de se mettre d’accord sur le mécanisme permettant de régler les éventuels différends dans le cadre du futur accord post-Brexit, par exemple si l’une des deux parties ne respecte pas ses engagements en matière de concurrence. "Ce sera le domaine dans lequel il faudra travailler en profondeur dans les prochains jours", a indiqué Ursula von der Leyen, estimant que cette question était "cruciale".

Initialement, l’Union européenne exigeait que sa Cour de justice (CJUE), basée au Luxembourg, reste compétente dans le cadre de ce mécanisme dès qu’il s’agira d’interpréter le droit européen, ce à quoi Londres s’oppose au nom de sa souveraineté. Mais là-encore, des progrès semblent avoir été réalisés, même si rien n’est encore finalisé.

Selon plusieurs sources européennes, Bruxelles étudie désormais la possibilité de ne pas mentionner la CJUE dans le futur texte et d’éviter aussi toute référence au "droit communautaire". "Des solutions sont possibles pour atteindre le résultat qui fait que c’est notre niveau d’exigence réglementaire et jurisprudentiel qui se trouve appliqué", a affirmé Clément Beaune mercredi devant les sénateurs. D’après Le Point, l’idée d’un tribunal arbitral indépendant tiendrait la corde. Ce dernier pourrait par ailleurs demander un avis non conforme à la CJUE en cas de litige.

Enfin, au-delà de la pêche, des questions de concurrence et de gouvernance, "certains points difficiles demeurent sur les marchandises, les contrôles aux douanes, la sécurité aérienne et la sécurité sociale", confie un source bruxelloise à l’hebdomadaire. "Mais les textes pourraient être finalisés prochainement", assure-t-elle.

Les négociateurs britanniques ont prévu de rester à Bruxelles jusqu’au 4 novembre. S’il ne reste à cette date que quelques obstacles limités et en apparence surmontables pour parvenir à un accord, Michel Barnier pourrait passer le relais à Ursula von der Leyen. Laquelle tentera de résoudre ces dernières divergences directement avec Boris Johnson. A l’inverse, si les désaccords demeurent trop profonds, les dirigeants des 27 Etats membres n’auront d’autre choix que de mettre un terme définitif aux négociations.

https://twitter.com/paul_louis_ Paul Louis avec AFP Journaliste BFM Eco