BFM Business
Economie et Social

Pour augmenter le salaire net, le Medef remet sur la table la TVA sociale

placeholder video
Le président du syndicat Patrick Martin voudrait baisser les cotisations en les transférant vers la TVA. Comment ça marche?

C'est une arlésienne que le Medef a décidé de convoquer à nouveau: la TVA sociale. "Au niveau du SMIC il y a toujours 368 euros de charge pour le salarié. Je suis clair, il faut, comme cela a pu être en partie fait pour les cotisations chômage, transférer une partie du coût social vers la fiscalité", a ainsi expliqué Patrick Martin, son président, sur le plateau de BFM Business, à l'occasion de la Rencontre des entrepreneurs de France (REF), l'évènement de fin d'été du patronat français.

Concrètement, le Medef veut baisser les cotisations -patronales ou salariales- et estime qu'une manière de compenser cette mesure est d'augmenter parallèlement la TVA, afin de ne pas pénaliser les finances publiques. Une mesure loin d'être nouvelle, puisqu'elle figure déjà au programme du candidat Nicolas Sarkozy durant les élections présidentielles en 2007.

Une étatisation du système social

D'autant moins nouvelle que la part des impôts dans le financement de l'assurance sociale est déjà en forte hausse ces dernières années, en réalité: alors que les cotisations représentaient 90% du financement de la "Sécu" en 1990, cette part était descendue en 2022 à 54%.

Et pour cause, une partie de ses revenus proviennent désormais de la fiscalité, comme avec la CSG: c'est ce qu'on appelle les ITAF (impôts et taxes affectées). Ils représentaient 31% des fonds en 2022.

Un moyen, soulignent les défenseurs de cette tendance, de séparer la Sécurité sociale en deux parties distinctes: d'une part, les cotisations financeraient les "risques" (maladie, retraites) et de l'autre, les impôts et taxes permettraient de financier les prestations universelles, où il s'agit plutôt "d'assister" ceux qui en ont besoin, que "d'assurer" ceux qui travaillent. Pour les détracteurs, la montée en puissance des ITAF au détriment des cotisations amène l'État à reprendre la main sur les syndicats qui négocient paritairement - à un moment où le gouvernement cherche de plus en plus souvent à s'imposer dans les discussions concernant chômage ou les retraites.

La TVA contribue déjà beaucoup

La TVA, elle, fait déjà partie des solutions pour financer la protection sociale: l'Etat n'a capté que 45,7% de cette taxe sur la valeur ajoutée en 2023, et en a renvoyé vers elle 60,3 milliards d'euros - soit un peu moins de 20%.

Un facteur nouveau, puisque jusqu'en 2017, l'État percevait 90% des revenus de la TVA. Mais depuis, les montants reversés se multiplient. Dans le dernier projet de loi de finance de la Sécurité Sociale (PLFSS), l'article 9 ouvrait encore la voie à une part de TVA supplémentaire affectée aux régimes sociaux de retraite, en vue de la disparition des régimes spéciaux.

Transformer des cotisations en TVA supplémentaire aurait des effets importants: chaque point de cotisation valait en 2021, en fonction des branches sociales auxquelles il est dédié, entre 5,1 milliards et 8,9 milliards d'euros. Un point de TVA rapportant 7 milliards d'euros environ, il faudrait augmenter la TVA d'autant qu'on baisserait les cotisations.

Des effets incertains

Les conséquences économiques de la TVA sociale seraient multiples. À l'échelle du patronat, la baisse des cotisations permettrait de dégager des marges supplémentaires aux entreprises basées en France: celles qui produisent sur le territoire verraient leurs conditions salariales allégées, à l'inverse de celles qui importent des biens.

Les conséquences sur l'emploi pourraient être favorables, comme le relève une étude menée par l'économiste Clément Carbonnier à Sciences Po : il pointe que "l'ampleur de cet effet bénéfique reste incertaine" et que "l'augmentation de l'emploi serait la somme d'augmentations et diminutions sectorielles [...] avec un impact redistributif non négligeable".

Les effets sur le pouvoir d'achat ne sont pas très clairs non plus: mais la TVA, à l'inverse des cotisations qui ne reposent que sur les actifs salariés, pèse sur chaque consommateur, ainsi les retraités seraient également concernés. En revanche, les plus pauvres en payent autant, si ce n'est plus en proportion de leurs revenus, que les plus aisés. L'institut La Boétie, proche de la gauche, soutient ainsi, chiffres à l'appui, que la TVA "supprime environ un quart des effets de la redistribution en France".

La "TVA sociale" n'aurait donc de sociale que le nom. L'attitude des entreprises face à la baisse des cotisations pourrait amener à trois scénarios, en termes d'inflation, comme l'évoque Bercy: soit elles augmentent les salaires, soit elles baissent leurs prix hors-taxe (avec la hausse de la TVA, les prix stagnent), soit elles maintiennent les prix hors-taxe (et les prix augmentent).

L'inflation pourrait ainsi se trouver au rendez-vous, en plus des effets négatifs sur les ménages les plus pauvres mentionnés plus haut. Dans les deux pays ayant adopté des réformes de ce type (Danemark et Allemagne), l'inflation est néanmoins restée nulle ou faible (1%). Mais c'était dans une période où la hausse des prix générale était déjà faible.

Valentin Grille