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Vente à perte de carburant: pourquoi les prix ne vont pas baisser de 40 centimes par litre

La pratique de vente à perte, qui va être autorisée à partir de début décembre par le gouvernement, vise à faire baisser les prix à la pompe. Mais cette mesure ne peut pas vraiment aboutir à des économies substantielles pour les automobilistes.

Après les "ventes à prix coûtant", les distributeurs de carburant pourraient aller un cran plus loin avec les "ventes à perte". C'est en tout cas la porte qu'a ouverte la Première ministre Élisabeth Borne, samedi soir, en annonçant l'autorisation exceptionnelle de cette pratique illégale depuis 1963.

En France, les commerçants ne peuvent "revendre ou annoncer la revente d'un produit en l'état au-dessous de son prix d'achat effectif", indique en effet la DGCCRF. Une règle à laquelle les stations-service pourront déroger dès le 1er décembre et pour une période de six mois, a précisé Bruno Le Maire sur France2 lundi. Le but: faire baisser les tarifs des carburants à la pompe qui ont subi une envolée ces dernières semaines. Mais les distributeurs pourront-ils réellement baisser leur prix de 40 centimes, voire 50 centimes d'euro par litre, comme l'évoquent certains politiques depuis ce week-end?

Plus de latitude dans la grande distribution que dans les petites stations

C'est simple, pour les stations-services indépendantes, il s'agit d'un scénario inenvisageable. Francis Pousse, le président de la branche distributeurs carburants et énergies nouvelles du syndicat Mobilians, qualifie même cette mesure de "catastrophe" pour les près de 5800 stations essence dites "traditionnelles" en France, c'est-à-dire celles qui n'appartiennent pas à des hypers ou supermarchés.

La marge nette d'une station, c'est un à deux centimes d'euro net, a-t-il rappelé sur le plateau de BFMTV ce lundi. Donc on ne peut pas jouer avec des périodes de prix coûtant et encore moins avec des ventes à perte".

"Chez nous, le carburant représente entre 20 et 60% de la marge brute de la société", a-t-il encore justifié. Les stations indépendantes, souvent situées en zones rurales et qui représentent 70% des adhérents de Mobilians, seront les plus affectées.

À l'inverse, les près de 5000 stations-service de la grande distribution qui pèsent pour 62% du marché, sont celles qui disposent de la plus grande latitude pour appliquer ce type d'opérations.

Une grande surface qui vend beaucoup de litres va avoir des coûts d’approvisionnement beaucoup plus bas, ce qui lui permet de proposer des prix plus agressifs c’est-à-dire plus bas", expliquait le président de l'Union française des industries pétrolières (Ufip) Olivier Gantois, le 11 septembre, sur BFM Business.

Ce sont donc chez elles que les automobilistes ont le plus de chance de voir un réel effet sur les tarifs à la pompe.

Pas de baisses pérennes, mais des opérations commerciales

Toutefois, même pour elles, le scénario d'économies substantielles offertes aux automobilistes avec des tarifs maintenus 40 à 50 centimes sous le prix coûtant est irréaliste. Tout d'abord, parce qu'il ne s'agira en aucun cas de baisses de prix pérennes sur plusieurs mois, mais au mieux, d'opérations limitées dans le temps. A la manière des opérations à prix coûtants mis en place lors des vacances d'été ou de pleins dont une partie est compensée en bons d'achats, comme l'avait fait Casino au printemps.

"On ne dit pas que l'essence va tomber à 1,40 euro dans toutes les stations pendant 6 mois. On dit qu'il peut y avoir des opérations commerciales qui peuvent être conduites", rappelait d'ailleurs le porte-parole du gouvernement Olivier Véran sur RTL, dimanche.

Le manque à gagner sur le long terme serait en effet trop important même pour ces grands acteurs. En temps normal, une station-service de supermarché vend entre 25 et 35.000 litres de carburant par jour. En prenant une hypothèse de 40 centimes par litre de réduction pendant six mois, cela équivaudrait pour le magasin à assumer une perte de 1,8 à 2,5 millions d'euros. C'est plus que le bénéfice normal d'un supermarché sur un semestre. Inimaginable.

Doze d'économie : Carburants, six mois de vente à perte à partir de décembre - 18/09
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Un gain de "quelques centimes par litre"

Deuxième point, même pour des opérations ponctuelles, il est peu probable que les baisses de prix appliquées atteignent 50 centimes par litre. Sur un plein de 50 litres, cela représenterait 25 euros offerts à l'automobiliste. Difficile à compenser même par un gain substantiel de clients ou par des achats très profitables (voir plus loin) que feraient dans les rayons du magasin, des automobilistes d'abord venus pour faire le plein de leur voiture.

Le scénario le plus probable est une baisse très limitée. "Même s’ils vendaient légèrement à perte, le gain ne serait au mieux que de quelques centimes par litre", estime le cabinet Asterès dans une note du 18 septembre. De quoi s'aligner ponctuellement sur les prix bloqués à 1,99 euros par Total.

Par ailleurs, si elles étaient mises en place, ces baisses temporaires avantageraient d'abord les Français qui conduisent peu et peuvent, de ce fait, se contenter de remplir leur réservoir lors de ces opérations promotionnelles sur le carburant. Les automobilistes qui prennent le volant tous les jours -les plus touchés par la hausse des prix- en profiteraient moins.

Une inflation dans les rayons pour compenser?

Enfin, en partant du principe que les enseignes fassent le choix de vendre le carburant à perte, il est à craindre que ces dernières se rattrapent sur d'autres produits. "Le carburant constitue un produit d’appel", c'est-à-dire qu'il vise à "attirer un client dans sa zone de chalandise pour qu’il fasse ses courses dans la grande surface", rappelle le cabinet Asterès.

"Mais il est possible que ces dernières (les enseignes, ndlr), bénéficiant de la clientèle captive qu’elles auraient ainsi attirée, en profitent pour augmenter leurs prix en rayon de manière à compenser la perte réalisée sur la vente de carburants", souligne-t-il.

La baisse du prix du carburant serait alors compensée par une inflation dans les rayons et n'aurait donc pas nécessairement un réel effet positif sur le pouvoir d'achat des Français.

Du côté de la grande distribution cependant, on rappelle que face à l'inflation, les Français comparent beaucoup les prix entre les enseignes et qu'un carburant peu cher n'apporte pas la garantie d'attirer davantage de clients dans les rayons.

Habilement présentée comme un outil de limitation de la hausse du prix des carburants par l'exécutif, la levée de l'interdiction de la vente à perte pour les distributeurs ne signifie pas que ces derniers se précipiteront sur cette opportunité. Pour le moment, aucun des acteurs de la grande distribution n'a d'ailleurs réagi à cette annonce en faisant part de son intention de mettre en place des opérations de ventes à perte.

Nina Le Clerre