Airbnb, Abritel, Leboncoin… les plateformes luttent-elles assez contre les arnaques aux locations de vacances?

Le retour de l'été, c'est aussi le retour des arnaques aux locations de vacances. - Pierre- Flickr CC
L'histoire est classique. Une grande maison, à un prix attractif, sur une grande plateforme de réservation. Idéale pour les vacances. Après avoir confirmé la disponibilité du logement, le propriétaire demande de lui faire directement un virement sans passer par le système de paiement de la plateforme en invoquant un prétexte quelconque. Puis plus aucune nouvelle et l'annonce a disparu. Dépité, le client se tourne vers la plateforme pour signaler l'escroquerie et demander un remboursement. C'est la douche froide: le service client répond qu'il ne peut rien faire et que l'argent est perdu.
Airbnb, Abritel, Booking, Leboncoin… les escrocs, pas vraiment sélectifs, on les retrouve partout. Ils appâtent leurs victimes avec de très belles photos (souvent volées ailleurs) et un prix en-dessous du marché, laissant courir l'idée qu'il faut réserver rapidement pour ne pas rater une bonne affaire. L'arnaque la plus courante consiste en effet à convaincre de faire un virement directement au faux propriétaire. Le but: encaisser un maximum d'argent en un temps minimum. Or, si on paye sans utiliser le système de paiement interne de la plateforme, la garantie est annulée.
"Tout règlement effectué hors de notre plateforme est effectué au seul risque de l’utilisateur", avertit Leboncoin. Même ton du côté d'Airbnb ou d'Abritel. Les grandes plateformes de réservation s'abritent derrière le statut d'hébergeur de contenus, défini par la loi du 21 juin 2004, dite loi LCEN (Loi pour la confiance en l’économie numérique). L'hébergeur, uniquement intermédiaire technique, est considéré comme irresponsable quant au contenu des annonces qui y sont publiées. Il est seulement tenu de supprimer rapidement des annonces signalées comme frauduleuses.
Vigilance de l'utilisateur
Concrètement: c'est à l'utilisateur d'être vigilant. On lui demande de n'utiliser que la messagerie interne pour communiquer avec le propriétaire, de vérifier les commentaires laissés par les vacanciers précédents, de lire attentivement la description du logement et le profil de l'hôte, de signaler rapidement une annonce suspecte... "Nous diffusons beaucoup de messages indiquant les bonnes pratiques à respecter. Nous le rappelons constamment", souligne Xavier Rousselou, responsable de la communication d’Abritel, qui compte des dizaines de milliers d'annonces dans l'Hexagone.
À l'image de ses consœurs, Abritel se repose sur un système de vérification automatique, par des algorithmes, pour contrôler aléatoirement les annonces avant qu'elles ne soient publiées. Les équipes "humaines" n'interviennent qu'en cas de signalement d'une annonce frauduleuse ou pour améliorer les algorithmes. Pour certains, c'est loin d'être suffisant: Johanna Chicheportiche, assistante administrative et juridique indépendante de Nice, a réuni les dossiers de centaines de victimes d'escroqueries sur Abritel pour mener une action en justice contre la plateforme.
"Abritel assure que sa plateforme est sécurisée. Si c'était vrai, il n'y aurait pas autant d'annonces frauduleuses qui seraient retirées puis republiées plus tard avec les mêmes photos et le même texte", estime-t-elle.
Ses clients ont été victimes d'escrocs utilisant des mails très ressemblants à ceux d'Abritel, utilisant les mêmes codes visuels. Les vacanciers, persuadés de suivre la bonne procédure, n'y ont vu que du feu. "Il n'y a rien qui attire l'œil, aucune faute d'orthographe, beaucoup de photos, une adresse mail classique qui n'a pas du tout l'air frauduleuse", explique l'assistante juridique niçoise, qui indique être contactée tous les mois par de nouvelles personnes. Parce qu'ils ont payé en-dehors du système de paiement interne, ses clients n'ont pu recevoir aucune aide de la plateforme.
"Dès qu'il y a un problème comme cela, Abritel répond qu'il ne peut pas s'en occuper. Or, énormément de gens réservent sur Abritel parce qu'ils ont confiance", poursuit Johanna Chicheportiche.
Enquête de la DGCCRF
La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) s'est aussi penchée sur le sujet. À la suite de signalements auprès de ses services ou dans les médias, l'autorité de régulation a mené une enquête sur Abritel entre 2020 et 2021 – sans lien avec l'action en justice précédente. "L'enquête a montré une contradiction entre le discours commercial d'Abritel, qui vante sa fiabilité et sa sécurité, et les conditions générales d'utilisation. Le consommateur est trompé car ces promesses ne sont pas tenues", développe un porte-parole de la DGCCRF.
C'est désormais au juge de trancher: la DGCCRF a annoncé à la mi-août avoir assigné les sociétés HomeAway France et EG Vacation Rentals Ireland Limited, gestionnaires de la plateforme, devant le tribunal judiciaire de Paris, afin de "faciliter l'indemnisation des victimes" d'annonces frauduleuses, expliquait-elle alors dans un communiqué. L'audience, dont la date n'est pas publique, se tiendra dans les mois à venir. Abritel a répondu être "très confiant" sur sa capacité à "démontrer au tribunal la réalité de [ses] efforts constants pour inciter les vacanciers à faire preuve de prudence".
Faut-il en faire plus pour lutter contre les arnaques, ou promettre moins ? Le statut d'hébergeur, source de contentieux, a été l'objet de nombreuses décisions de justice, en faveur comme en défaveur des plateformes. La jurisprudence a ainsi peu à peu précisé le cadre tracé par la loi LCEN. "Le droit déteste les zones d'irresponsabilité", avance l'avocat spécialisé en droit numérique Gérard Haas. "Il y un vrai débat juridique sur le rôle de la plateforme: si elle ne vérifie pas les contenus avant qu'ils soient publiés, n'est-elle pas co-responsable en cas de problème ?".
Co-responsables ?
En juin 2020, le tribunal judiciaire de Paris avait ainsi condamné Airbnb à verser 58.000 euros à une propriétaire parisienne dont le logement avait été illégalement sous-loué sur la plateforme. Le tribunal avait estimé qu'Airbnb exerçait une activité d'éditeur, et non de simple hébergeur, à l'égard de ses hôtes, car l'entreprise jouait un rôle "actif" dans la publication des annonces. Les juges avaient notamment pointé du doigt les directives données par Airbnb à ses hôtes, comme requérir des équipements de base, et le fait que les annonces qui ne les respectaient pas pouvaient être retirées.
"La jurisprudence montre qu'on exige aujourd'hui un devoir de vigilance renforcé de la part des plateformes. On leur demande de rendre des comptes et elles sont de plus en plus tenues à opérer des vérifications", explique Gérard Haas, nuançant que cela "ne remettait pas fondamentalement en cause" le statut d'hébergeur, mais posait surtout la question d'une co-responsabilité.
"Même si ce n'est pas une responsabilité juridique, je considère qu’on est quand même un peu responsable de ce qui se passe sur notre plateforme", rétorque Corinne Jolly, présidente de PAP. Le site de location et de vente immobilières entre particuliers possède une section dédiée aux logements de vacances, avec 30.000 annonces au compteur. Une équipe de quatre personnes, "des seniors", s'attelle à la détection des signaux suspects. Toute annonce postée par un utilisateur inconnu va être l'objet de vérifications, comme des pièces justificatives récentes ou même un appel en visio.
Face aux fraudeurs, l'humain est plus polyvalent que l'algorithme. "Les techniques utilisées par les escrocs changent constamment. Une nouvelle façon de procéder apparaît tous les six mois", souligne la dirigeante. Au final, assure-t-elle, PAP Vacances ne compte que quelques cas chaque année qui passent les mailles du filet, c'est-à-dire que l'annonce est publiée, et très peu d'arnaques effectives. Pour Corinne Jolly, "ça demande beaucoup de temps mais ça vaut le coup: une annonce de location de vacances, pour une résidence secondaire, ça dure des années".