"Le RN se positionne sur le bitcoin, ce n’est pas choquant": comment l'extrême droite a fait main basse sur le sujet des cryptos (pourtant nées dans la gauche libertarienne)

Jordan Bardella et Marine Le Pen à Matignon le 30 avril 2025 - Bertrand GUAY / AFP
Le bitcoin est-il devenu un sujet stratégique pour le Rassemblement national (RN)? En quelques années, Marine le Pen a changé de ton à l'égard de la reine des cryptomonnaies. La présidente du RN a d'abord souhaité interdire le bitcoin en 2017, avant d'évoquer une régulation en 2022. En mars 2025, en visite à la centrale nucléaire de Flamanville, elle propose d'exploiter les surplus de production des centrales nucléaires françaises... en minant du bitcoin.
Depuis sa prise de parole, le RN s'active à devenir le premier parti de France à soutenir le bitcoin, écrasant l'opinion du parti pirate français. Mi-juin, les 123 députés du RN ont déposé un amendement visant à explorer les possibilités de développer une industrie du minage de bitcoin en France. Malgré son rejet par l'Assemblée nationale, le groupe n'a pas perdu espoir. Vendredi 11 juillet, 72 députés du RN ont déposé une proposition de loi pour tester de manière "expérimentale" le minage de bitcoin en France.
"On est dans une optique réaliste. Il y a un sujet budgétaire, un monde qui change, des nouvelles technologies de rupture et un Etat attentiste. Nous pensons que c'est la technologie qui nous sortira de notre ornière écologique et budgétaire", confie Aurélien Lopez-Liguori, député RN de l'Hérault, à l'initiative de l'amendement et de la proposition de loi. Face aux 40 milliards d'euros "à aller chercher", le minage de bitcoin pourrait devenir une source de revenus pour la France.
"L'idée n'est pas d'accumuler des cryptos, mais d'utiliser le minage de cryptos comme moyen de réindustrialiser la France", explique le monsieur bitcoin de l'Assemblée. Certains Etats, comme les Etats-Unis et la Norvège, minent aujourd'hui du bitcoin "et c'est rentable. Je ne vois pas pourquoi on devrait avoir des pudeurs de gazelles en France. Bercy, la gauche et les écologistes ont une vision fantasmée du bitcoin. Pour eux, bitcoin c'est le mal", confie l'élu.
Des répercussions jusqu'en France
La main mise du RN sur les cryptos de vient pas de nulle part. En 2017, privés d'accès aux banques, les mouvements d’alt-right aux Etats-Unis ont dû passer par le bitcoin pour continuer à se financer. Cela a aussi été le cas pour la famille Trump. L’extrême droite américaine "a pris de l’avance sur le sujet bitcoin et cela a des répercussions jusqu’en France", explique Faune, qui anime une chaîne YouTube consacrée à Bitcoin et aux libertés fondamentales.
L'arrivée de Donald Trump au pouvoir a finalement libéré la parole du RN. Outre les débats parlementaires à venir sur l'actuelle proposition de loi, cette mesure fera partie du programme de campagne présidentielle de Marine Le Pen de 2027, aux côtés d'autres sujets relatifs aux cryptomonnaies, confie le député. Un pari fait par le parti alors que 10% des Français détiennent des cryptos, surtout les jeunes.
Mais jusqu'où ira le RN en matière de crypto? La France pourrait-elle suivre le pas du Salvador et faire du bitcoin une monnaie légale? "Il y a un intérêt quand on a une monnaie totalement dévaluée. Je le comprendrais moins en France. En revanche, nous sommes complètement opposés à l'euro numérique, cela ne servira à rien à part à faire du contrôle de masse", indique l'élu qui soutient par ailleurs les services de mixage de crypto.
"Le fait de voir le RN, ou n'importe quel parti, se positionner sur le bitcoin, sujet nouveau et prometteur et qui représente un marché électoral grandissant, ce n’est pas choquant. Ce qui l'est davantage, c'est que la gauche refuse de faire le même travail, voire de simplement considérer Bitcoin", souligne Alexandre Stachtchenko, directeur de la stratégie chez Paymium.
"Le méchant capitalisme"
Une situation paradoxale, car originellement, le bitcoin coche plus de cases à gauche qu’à droite selon l'expert. Des libertés fondamentales, en passant par Assange, Snowden, l’utilisation par les minorités, les marginaux, les opprimés, et les pays en développement, son utilité écologique grâce au minage.
"Malgré tout cela, la gauche ne veut pas y toucher car le bitcoin, c'est de l'argent, donc c'est sale, c'est le méchant capitalisme", regrette ce dernier.
Début juillet, l'ancien député socialiste Jean Marie Cambacérès, ouvertement pro-bitcoin, a parlé crypto avec François Hollande. L'ancien président de la République, connu pour avoir déclaré "Mon ennemi(e) c'est la finance" réussira-t-il à s'emparer du sujet? De son côté, Raphaël Glucksmann, à la tête du groupe Place Publique, est entouré de la députée européenne Aurore Lalucq, connue pour ses positions anti-crypto.
"A gauche, il y a malheureusement une pression sociale: si tu dis que tu aimes bien Bitcoin tu es marginalisé. C'est dommage pour elle, car elle est en train de perdre beaucoup de gens, notamment les jeunes, en répétant sans réfléchir que Bitcoin est nul", poursuit Alexandre Stachtchenko.
Il existerait un cercle vicieux où le RN a pris les devants sur le sujet du bitcoin, "ce qui incite ses opposants à se positionner en contradiction par principe, renforçant ainsi l'idée que c'est quelque chose d'extrême droite. Mon espoir c’est que cette polarisation ne soit pas trop avancée et que d’autres partis acceptent en parler", selon le directeur de la stratégie chez Paymium.
"Cynisme de l’extrême droite"
Si la gauche ferme les yeux sur cette technologie, la droite dure se réunit autour d'elle. Le 24 juin, 1.400 personnes se sont réunies au "Sommet des Libertés" à Paris. De nombreux bitcoiners et libéraux y ont écouté les discours de Jordan Bardella et d'Eric Ciotti, qui veut aussi se positionner sur les cryptos.
Ce sommet est révélateur "du cynisme de l’extrême droite sur cette même question de la liberté. Si les bitcoiners s’imaginent que les descendants des fascistes peuvent aller vers les chemins de la liberté, c’est soit de l’immaturité politique soit de la naïveté. J’espère que ce n’est pas de la fausse naïveté", confie Faune.
Aujourd'hui, le rapprochement du RN à l'égard du bitcoin embarasse la communauté crypto. "J’utilise le bitcoin par principe donc je comprends facilement qu’on refuse de l’utiliser par principe aussi. Si le bitcoin parait trop teinté extrême droite, cela peut vite en faire un repoussoir", explique Faune.
"Cela ne va pas dans le sens des gens plus modérés. L’adoption par les Etats et les politiciens, ce n’est pas ce qui me fait rêver. Bitcoin est là pour rester et toutes les sensibilités politiques devraient se demander comment en tirer profit", conclut-il.
Pour rappel, le 31 octobre 2008, un certain Satoshi Nakamoto - une personne ou un groupe de personnes à ce jour non identifié(s) - publiait le "white paper" du Bitcoin. Ce livre blanc, intitulé "Bitcoin: A Peer-to-Peer Electronic Cash System ou traduit en français "Bitcoin: un système de monnaie électronique de pair à pair", posait les bases du fonctionnement du protocole Bitcoin. Malgré l'intérêt grandissant des Etats et des politiques à son égard, son protocole fonctionne de la même manière. Le bitcoin reste une cryptomonnaie décentralisée, neutre et apolitique.