Lutte contre la pédopornographie ou Big Brother: qu’est-ce que “Chat Control” et quelles seront ses conséquences pour l’Europe ?

Les écrans de téléphones portables affichent le logo d'Instagram et un dossier de médias sociaux. - Ismail Aslandag / Anadolu (Photo by Ismail Aslandag / ANADOLU / Anadolu via AFP)
C’est en quelque sorte une révolution numérique qui va se jouer au Conseil de l’Union européenne. Dans quelques jours, une décision majeure sera prise: la "Child Sexual Abuse Regulation", aussi surnommée "Chat Control", va sûrement être approuvé par les gouvernements des États membres de l’UE. Et cela aura un impact tous les citoyens européens. Mais alors, qu’est-ce que c’est exactement? Qui cela concerne-t-il? Et surtout, quelles en seront les conséquences sur nos vies?
Qu’est-ce que c’est ?
Le "Chat Control" est le surnom donné à une proposition de règlement européen officiellement appelée "Child Sexual Abuse Regulation" (CSAR) ou Règlement établissant des règles en vue de prévenir et de combattre les abus sexuels sur enfants, en français.
Présentée pour la première fois en 2022, cette mesure vise à renforcer la lutte contre les abus sexuels sur enfants en ligne en imposant une surveillance automatisée des conversations privées, y compris celles chiffrées. Le projet prévoit d’obliger tous les services de messagerie opérant en Europe à scanner les contenus des utilisateurs afin de détecter du matériel pédopornographique, qu’il soit connu ou inconnu.
Cette surveillance pourrait être mise en œuvre grâce à la technologie dite du "client-side scanning", analysant les données directement sur les appareils des utilisateurs avant qu’elles ne soient chiffrées.
Le 14 octobre 2025, les ministres de la Justice des États membres de l’UE se réuniront avec le Conseil de l'Union européenne, qui est avec le Parlement européen une des deux instances majeures de décision de l'Union européenne. Ils décideront si cette proposition avancera vers une phase de négociation officielle. C’est une étape cruciale car une fois adoptée, la mesure sera difficilement réversible.
Qui ça concerne?
Tous les utilisateurs des services de messagerie et de communication sur Internet en Europe sont concernés, y compris les millions de personnes utilisant des applications comme WhatsApp, ou Signal, réputées pour leur chiffrement de bout en bout. Le champ d’application de cette mesure est très large, englobant aussi bien les échanges professionnels que personnels.
À ce jour, 12 États membres soutiennent officiellement la proposition, tandis que plusieurs pays stratégiques tels que l’Allemagne, la Belgique, l’Italie et la Suède, initialement opposés ou hésitants, revoient leur position ou envisagent de la soutenir, ce qui pourrait jouer un rôle décisif lors du vote.
Quelles conséquences ?
Selon de nombreuses organisations, dont l’Internet Society, cette réglementation pose des risques majeurs. Premièrement, elle fragilise la confidentialité et la sécurité du chiffrement des communications, ce qui pourrait exposer les utilisateurs à des failles et abus. Deuxièmement, si elle est adoptée, elle pourrait ouvrir la voie à un effet domino visant d’autres services comme les VPN ou des messageries alternatives, accentuant ainsi la surveillance généralisée.
Au-delà des atteintes à la vie privée et à la sécurité du chiffrement, le projet pourrait provoquer une perte massive de confiance dans les services numériques, tant de la part des utilisateurs que des entreprises. Les collaborateurs, clients et partenaires pourraient craindre de voir leurs communications surveillées, ce qui fragiliserait les relations professionnelles... et personnelles.
Enfin, en multipliant la collecte et l’analyse automatisée des données privées, cette surveillance accroît fortement les risques de fuite ou de piratage de données sensibles, exposant les utilisateurs à des violations de confidentialité majeures.
Sur le plan politique, le processus est tendu, avec des accusations de pression exercée par la présidence danoise de l’UE pour forcer l’accord, ce qui alimente les inquiétudes concernant la transparence de ce dossier sensible. La réunion du 14 octobre est donc un moment décisif qui pourrait sceller l’avenir de ce projet controversé.