“Chat Control”: le projet controversé de surveillance des messageries chiffrées ajourné par l’UE, grâce à l’Allemagne?

La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, prononce son discours annuel sur l'état de l'Union lors d'une séance plénière au Parlement européen à Strasbourg, dans l'est de la France, le 10 septembre 2025. - SÉBASTIEN BOZON / AFP
C'est "une victoire" pour les opposants au projet. Alors qu’il devait être présenté demain, le 14 octobre, devant le Conseil de l’Union Européenne, le vote sur Chat Control a été retiré du calendrier. Ce projet controversé, qui visait à imposer aux services de messagerie comme WhatsApp de scanner automatiquement tous les messages privés, rencontre une opposition grandissante. La prochaine réunion des ministres de l’Intérieur de l’Union européenne est désormais programmée pour les 6 et 7 décembre, où ce dossier devrait être à nouveau discuté.
Aussi surnommé le "projet de loi européen le plus critiqué de tous les temps", le règlement CSAR (Child Sexual Abuse Regulation) entend instaurer des règles pour prévenir et combattre les abus sexuels sur enfants en ligne.
Présenté par la Commission européenne en 2022, il suscite une forte résistance de la part des défenseurs des droits humains, et d'une partie de la classe politique européenne, qui dénoncent une surveillance de masse susceptible de compromettre la vie privée et les libertés fondamentales.
Une opposition "ferme" de l’Allemagne
Si aucune raison officielle n’a été clairement indiquée pour ce report, l’opposition persistante de l’Allemagne, qui s’oppose de longue date au projet, semble avoir joué un rôle décisif. L’approbation de ce type de texte requiert ainsi une “double majorité qualifiée” au sein du Conseil de l’UE, c’est-à-dire l’accord d’au moins 15 des 27 États membres représentant au minimum 65% de la population européenne, un seuil difficile à atteindre dans le contexte actuel.
"Face à une vague d'appels et d'e-mails du public, les sociaux-démocrates tiennent bon et, pour la première fois, même les dirigeants conservateurs émettent des critiques. Sans la résistance inlassable des citoyens, des scientifiques et des organisations, les gouvernements de l'UE auraient adopté la semaine prochaine une loi totalitaire sur la surveillance de masse, signant la fin de la confidentialité numérique. Le fait que nous ayons réussi à empêcher cela, pour l'instant, est un moment à célébrer", commente Patrick Breyer, eurodéputé allemand du Parti Pirate .
En effet, si jusqu’à fin août 15 pays soutenaient ce projet, ils ne sont plus que 12 aujourd’hui, regroupant seulement 38,82% de la population européenne. Cinq pays sont indécis, représentant 22,68%. Avec l’Allemagne, qui représente à elle seule 18,56% de la population, désormais opposée, il devient pratiquement impossible d’obtenir la double majorité qualifiée nécessaire pour voter en faveur de Chat Control.
Les pays soutenant toujours activement le projet Chat Control sont le Portugal, l’Espagne, l’Irlande, la France, le Danemark, la Suède, la Lituanie, la Bulgarie, la Hongrie, la Croatie et Malte.
Un combat citoyen qui porte ses fruits ?
Un ingénieur logiciel danois de 30 ans, prénommé Joachim, a également joué un rôle déterminant dans le retournement du débat autour de Chat Control. En août 2025, il a lancé le site Fight Chat Control, qui permettait aux citoyens européens d’envoyer massivement des courriels de protestation aux décideurs européens. La plateforme, devenue virale en quelques jours, a saturé les boîtes mail des parlementaires et provoqué une agitation notable à Bruxelles.
Financé entièrement par Joachim, le site aurait généré plusieurs millions de messages. Bien que certains élus l’aient qualifiée de spam, cette campagne a révélé un nouveau mode de militantisme numérique puissant, capable de défendre le chiffrement et les droits numériques tout en plaçant la surveillance de masse au centre du débat public européen. Un sondage YouGov mené dans dix pays de l’Union européenne révèle que 72% des répondants s’y opposent, et le rejet atteint 73% chez les 18-24 ans. Preuve en est que, pour l’instant, les initiatives citoyennes ont porté leurs fruits.