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Un si grand soleil, le nouveau feuilleton de France 2 qui va contrarier TF1 et M6

Le budget est de 35 millions d'euros par an

Le budget est de 35 millions d'euros par an - FTV Philippe Leroux

Un si grand soleil, le nouveau feuilleton quotidien de la Deux, débarque lundi soir à 20h40. Un choix audacieux autant en termes d'horaire, que d'internalisation de la production.

Après la chaîne Franceinfo: c'est le second bébé de la patronne de France Télévisions, Delphine Ernotte. L'action de ce feuilleton, Un si grand soleil, se passe près de Montpellier. Initialement promis pour début 2018, il débarque finalement ce lundi 27 août sur France 2.

La chaîne publique a déjà passé commande de 235 épisodes. 50 ont déjà été tournés. "La moitié des 22 minutes est tournée en extérieur, c'est une prouesse jamais vue", s'est enorgueilli jeudi 23 août le directeur général délégué de France Télévisions Takis Candilis.

C'est le troisième feuilleton quotidien produit en France, après Plus belle la vie sur France 3, et Demain nous appartient sur TF1. "Trois feuilletons, ce n'est pas un problème, il y en a encore plus dans d'autres pays européens", a souligné Takis Candilis.

Produire en interne ou en externe?

Contrairement à ses deux rivaux qui sont produits par Newen (filiale de TF1), le nouvel arrivant est produit en interne, précisément via une filiale de France Télévisions baptisée MFP, rebaptisée France.tv.studio.

Produire en interne supprime déjà tout risque de conflits entre la chaîne et le producteur sur le scénario, ou le budget, comme France 3 l'a vécu avec Newen au sujet de Plus belle la vie. Ensuite, le crédit d'impôt, les bénéfices engrangés par le placement de produits, les ventes à l'étranger..., et plus globalement toute la marge réalisée par le producteur, resteront dans les poches de France Télévisions.

D'ores et déjà, Un si grand soleil a été acheté par TV5, et sera présenté aux acheteurs étrangers mi-septembre lors du Rendez-vous de Biarritz.

En revanche, produire en interne coûterait 10% à 35% plus cher qu'une commande à un producteur externe, à en croire un rapport de plusieurs députés de la majorité (cf. encadré ci-dessous). France Télévisions dément, mais ne communique pas le budget d'Un si grand soleil. Toutefois, selon des sources industrielles, ce budget s'élève à environ 35 millions d'euros par an, financés à hauteur de 26 millions par la chaîne, environ 5 millions par France.tv.studio, et le solde par le CNC. Soit un budget comparable à celui de Plus belle la vie, qui coûte pourtant moins cher à produire, car il comporte moins de scènes en extérieur.

Quoiqu'il en soit, avec un épisode de 22 minutes qui coûte 130 à 140.000 euros, Un si grand soleil a un coût horaire cinq fois moins élevé que les fictions de la Deux (1,2 million d'euros par heure en 2017, selon le CNC).

Perturber la concurrence

Alors qu'initialement le feuilleton devait être diffusé aux alentours de 18h30, France 2 a finalement fait un autre choix plus audacieux: 20h40.

En pratique, le journal télévisé de la deuxième chaîne sera désormais suivi de la météo, puis de deux programmes courts (un musical baptisé Basique, et un autre sur le patrimoine présenté par Stéphane Bern), puis d'Un si grand soleil. Et il n'y aura aucun programme court entre le feuilleton et le programme de la soirée, qui s'enchaîneront directement.

En pratique, le feuilleton remplace donc le long tunnel de publicités d'intérêt général et de programmes courts sponsorisés (D'art d'art, Parents mode d'emploi...) diffusés entre 20h40 et 21h sur la Deux. Un enchaînement de programmes qui faisait fuir près de la moitié des téléspectateurs du journal. Programmer le feuilleton à cette heure-là ne peut donc que faire monter l'audience.

Revers de la médaille: cette succession de programmes courts rapportait des recettes de parrainage et de publicité d'intérêt général, qui disparaissent donc. "Mais ce manque à gagner est compensé en quasi-intégralité sur l'ensemble de la grille", indique le directeur du développement commercial, Julien Verley.

Programmer le feuilleton entre 20h40 et 21h risque surtout d'impacter les chaînes qui diffusent un tunnel de publicité à cette heure-là, à commencer par TF1 ou M6. En effet, une bonne partie des spectateurs de la Une ou de la Six pourraient alors fuir la pub pour zapper sur la Deux...

Plus de monde devant le poste

Avant de faire ce choix, France 2 avait étudié plusieurs options. D'emblée, il a été exclu de diffuser son feuilleton à 20 heures (occupé par le sacro-saint JT) ou à 19h (où cartonne N'oubliez pas les paroles de Nagui et où les amateurs de soap opéras sont devant Demain nous appartient sur TF1). Restait donc la case de 18h30, actuellement occupée par le jeu Tout le monde a son mot à dire. Problème: il y a beaucoup moins de monde devant l'écran à cette heure là. Par exemple, Tout le monde a son mot à dire a réuni seulement 900.000 spectateurs au 1er semestre 2018. "Et à 18h30, nos écrans publicitaires sont déjà pleins, donc il n'y avait pas de réel enjeu commercial à diffuser le feuilleton à cette heure là", ajoute Julien Verley.

Enfin et non des moindres, Plus belle la vie est parallèlement avancé de 20h30 à 20h20, afin de ne pas être diffusé en même temps qu'Un si grand soleil. Autrement dit, le feuilleton de France 3 (suivi par 4 millions de fidèles) concurrencera désormais les journaux télévisés de TF1 et de France 2 sur 15 minutes, au lieu de 5 minutes actuellement. Ce changement nuira sans nul doute aux audiences des JT, qui actuellement, baissent déjà légèrement lorsque démarre le feuilleton de la Trois.

Handicap d'audience

Pour mémoire, lorsque, début 2009, la publicité avait été supprimée après 20 heures sur les chaînes publiques, le gouvernement leur avait demandé de démarrer leur soirée à 20h35 -c'était même imposé dans leur cahier des charges. Mais démarrer son prime time plus tôt que toutes les autres chaînes s'est avéré handicapant pour les audiences. "Notre mission est d'être vus par le plus grand nombre. Un démarrage à 20h30 n'est ni une demande des citoyens, ni un usage. Les chaînes de la TNT démarrent leur soirée vers 20h50 ou 20h55. C'est la façon dont les Français abordent leur soirée", plaidait en septembre 2012 Rémy Pflimlin, prédécesseur de Delphine Ernotte. Fin 2014, il obtint de sa ministre de tutelle Fleur Pellerin la suppression -en toute discrétion- de cette disposition du cahier des charges. 

En pratique, les chaînes publiques se sont donc de plus en plus éloignées de l'objectif de 20h35, et ont démarré leur prime time de plus en plus tard, nécessitant de meubler l'après JT par un tunnel de programmes courts de plus en plus long. En moyenne, France 2 démarrait sa soirée à 20h40 en 2011, puis à 20h44 en 2012. Actuellement, la soirée de la Deux démarre à 20h55, selon les horaires officiels communiqués à la presse. Et à partir de lundi, à 21h. Mais pour Delphine Ernotte, "le prime démarrera désormais à 20h40 avec le feuilleton...".

un choix de production interne critiqué

"Il est essentiel d’évaluer rapidement la pertinence de la méthode utilisée pour la production de ce feuilleton : Aucun appel d’offre auprès des producteurs privés n’a permis de tester le scénario et la démarche artistique. De plus, le recours à la production et à la fabrication interne, dont on sait que le coût est supérieur au marché, favorise tous les risques de dérapages budgétaires. Sans compter l’impact que représenterait un éventuel échec d’audience et ses conséquences lorsque l’on sait les moyens internes qui sont développés pour sa mise en place.... C’est dans cet esprit de 'paix sociale' que France Télévisions a décidé de lancer un nouveau feuilleton quotidien de 26 minutes, fabriqué en interne, pour une diffusion sur France 2 en pré-access. Ce projet était initialement prévu sur France 3 avec l’idée de remplacer à terme Plus belle la vie dont le producteur était passé sous le pavillon de TF1. France Télévisions avait à ce stade deux possibilités: Confier ce projet à un producteur extérieur choisi sur appel d’offre. Avec l’avantage d’avoir une émulation stimulante tant sur le plan artistique que sur le plan économique. Avec l’assurance d’une garantie de bonne fin entre les mains du producteur extérieur prenant en charge tout dépassement éventuel et la possibilité de ne pas avoir à commander une saison ultérieure en cas d’échec sans traumatisme social interne. Avec un partage des droits à 50/50 permettant une optimisation des recettes par contre en cas de succès. Mais ce projet de feuilleton quotidien n’a fait l’objet d’aucun appel d’offre à l’extérieur et cette production a été immédiatement confiée à la filiale de France Télévisions, MFP, qui travaille ainsi depuis plus d’un an sur la création de ce feuilleton. La raison invoquée: le fait de pouvoir détenir 100% des droits! France Télévisions avait alors deux possibilités. La première: rechercher un site déjà équipé en studios afin de réduire les coûts et les risques comme le suggérait la Cour des comptes avec le site de Marseille. La seconde: prendre des locaux en location et faire les travaux nécessaires pour les transformer à terme en studios (acoustique climatisation etc.) sur un nouveau site. France Télévisions a choisi la seconde option. Le cahier des charges défini à l’origine demandait en effet de changer de région et de ne surtout pas aller à Marseille trop collé à l’image de Plus belle la vie, rachetée par TF1… Il a été donc décidé de créer une nouvelle implantation et prendre en location annuelle des locaux bruts (environ 500.000 euros par an), de faire les travaux nécessaires pour aménager des studios avec le double risque financier d’un bail de 9 ans et de travaux estimés à environ 5 millions d'euros. Sans compter la remise à l’état d’origine des locaux imposée par le propriétaire actuel. Extrait de La Tribune, Languedoc/Roussillon du 6 avril 2018: 'Les chiffres communiqués à la presse sur l'investissement que représente l'arrivée des studios sont relativement flous: Toma de Matteis, producteur chez MFP, confirme une enveloppe de quelque 11 millions d'euros, comprenant l'installation des studios, la première année de tournage et toutes les dépenses indirectes corrélées à l'activité (achat de matériel, nuitées, repas, etc.)' À titre indicatif, il existe à Martigues (Marseille) une plate-forme technique sur 26.000 m² comprenant des studios, des ateliers, des bureaux, cantine, des surfaces très importantes de parking etc. Pour une surface exploitable d’environ 11.000 m², le prix locatif serait d’environ 470.000 euros par an avec un autre avantage d’une extension possible sur d’autres surfaces disponibles. A cela, il faut ajouter le risque normal d’un budget de production lourd estimé à 120 à 145.000 euros l’épisode (240 épisodes soit plus de 30 millions d'euros par an), avec un surcoût de départ vis-à-vis d’une production extérieure évalué entre 10 et 35%, et des risques de dépassement important. Enfin, avec l’hypothèse toujours possible d’un cycle de vie assez court au regard d’une audience qui ne serait pas au rendez-vous. Par ailleurs, l’option qui a été annoncée d’une programmation de fin d’après-midi (pour ne pas concurrencer Plus Belle La Vie ou se placer en frontal avec le feuilleton de TF1) peut peser lourd dans le coût de grille et reste hors de proportion avec les investissements consentis par les diffuseurs à cet horaire de journée ou de fin d’après-midi. Plus belle la vie, à sa création, n’avait pris le risque que sur la production avec 126 épisodes, commande ferme au démarrage et une location dans un lieu déjà équipé et sur un contrat initial limité dans le temps. L’installation de la production dans les locaux de la Belle-de-Mai comprenant 3 plateaux équipés, les bureaux de production, les espaces de postproduction, les loges et des espaces de stockage et de construction décor tenait dans un budget locatif d’environ 400.000 euros par an. Les audiences de démarrage ont été très faibles et la question s’est posée assez rapidement d’arrêter le feuilleton. Heureusement, après 3 mois de diffusion, les audiences ont décollé, et la décision de l’époque de continuer a été couronné de succès puisque, depuis 12 ans, l’audience est au rendez-vous quotidiennement. Le risque financier de l’époque portait ainsi uniquement sur l’enveloppe attribuée à la production, mais ne portaient ni sur les dépassements ni sur l’immobilier. Or, France Télévisions a souhaité ramener sur le site de Montpellier une partie des activités de la filière, en déménageant sur le site de Montpellier les ateliers de décors encore présents en région comme Marseille, Lille, Lyon et probablement d’autres services. Il semble très compliqué de persuader les personnels de France 3 à une relocalisation professionnelle et un déménagement familial sans verser des indemnités conséquentes. Jusqu’à présent, on ne sait pas combien de salariés de la filière production de France 3 (900 millions d’euros par an) ont décidé de rejoindre l’aventure du feuilleton. Il est donc certain –sans en connaître les chiffres– que MFP va recruter des collaborateurs extérieurs pour assurer la production…. Il n’y a plus qu’une chose à souhaiter: que les audiences soient au rendez-vous!" Extrait du rapport des députés Frédérique Dumas (LREM), Pascal Bois (LREM), Marie-Ange Magne (LREM), Sophie Mette (Modem), Sandrine Mörch (LREM), Pierre-Alain Raphan (LREM) et Raphaël Gérard (LREM)

Jamal Henni