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Quatre ans après l'attentat, Charlie Hebdo est redevenu déficitaire

L'hebdomadaire publie un numéro spécial à l'occasion de l'anniversaire des attentats

L'hebdomadaire publie un numéro spécial à l'occasion de l'anniversaire des attentats - -

L'hebdomadaire satirique a reperdu l'essentiel des lecteurs gagnés après les attentats, tout en faisant face à des dépenses de plus en plus importantes, notamment pour sa sécurité.

Quatre ans après l'attentat du 7 janvier 2015, Charlie Hebdo publie un numéro commémoratif. Dans un éditorial, intitulé "Vous êtes encore là?", l'hebdomadaire satirique déplore que "beaucoup se sont déjà lassés" des combats qu'il porte.

Cette lassitude est visible dans les chiffres de vente: 30.000 exemplaires en kiosques et 30.000 abonnements, a indiqué Riss lundi 7 janvier. Cela reste supérieur à la diffusion d'avant l'attentat, où l'hebdomadaire se vendait à près de 30.000 exemplaires et comptait près de 10.000 abonnés. Mais, juste après l'attentat, le nombre d'abonnés avait grimpé à 260.000, et les ventes en kiosque se chiffrèrent en millions, pour s'établir à 120.000 exemplaires six mois plus tard.

Retomber dans le rouge

Résultat: le chiffre d'affaires, après avoir bondi à 64 millions d'euros en 2015, est retombé à 11,3 millions d'euros en 2017, ce qui reste quand même deux fois plus élevé qu'avant l'attentat. Mais les comptes sont retombés dans le rouge, avec une perte d'exploitation de -2,7 millions d'euros en 2017.

Car le journal doit supporter en parallèle une hausse de ses dépenses. Les salaires absorbent désormais 2,3 millions d'euros par an, soit deux fois plus qu'avant l'attentat. Surtout, il y a les dépenses pour assurer la sécurité du journal. "Tout compris, ces investissements et cette protection, atteignent entre 1 et 1,5 million d’euros par an, entièrement à la charge du journal", déplorait Riss il y a un an, précisant toutefois que certains salariés sont protégés par le Service de la protection (SDLP) de la police nationale "financé par les impôts". "C'est à près 1,5 million d'euros par an qu'on doit dépenser pour assurer la sécurité des locaux et de tout un tas d'autres choses", a répété Riss lundi 7 janvier.

Certes, Charlie a de quoi couvrir ces dépenses grâce à la cagnotte engrangée par les très bonnes ventes des années précédentes. La trésorerie s'élève ainsi à 18,5 millions d'euros à fin 2017.

"Pas viable à terme"

Mais "un journal comme Charlie avec des coûts pareils, ce n'est pas viable à terme, donc si on veut que ça continue, il faudra solutionner cette question", a prévenu Riss, qui a demandé l'aide de l'Etat. "On est en contact avec certaines personnes du ministère pour peut-être améliorer ça", a-t-il précisé.

Parallèlement, "on a fait en sorte de réduire les charges", a déclaré Riss à l'AFP. Notamment, la version en allemand lancée fin 2016 a été arrêtée un an plus tard. 

Conflits internes

L'autre menace qui pèse sur le journal sont les conflits internes à répétition. En 2015, 11 salariés avaient dénoncé le "poison des millions" et réclamé que des actions (ne donnant pas droit à dividendes) soit distribuées à tous les salariés, mais ont été éconduits par Riss. La plupart de ces frondeurs (Luz, Patrick Pelloux, Zineb El Rhazoui, Laurent Léger) ont ensuite quitté le journal. 

L'an dernier, le directeur général Eric Portheault est aussi parti, ce qui a ouvert un nouveau conflit sur l'avenir des 33,3% qu'il détient dans le journal. Eric Portheault voulait que sa participation soit rachetée pour 1,8 million d'euros, mais a été éconduit, à la suite de quoi il a saisi le tribunal de commerce.

Face à cette contestation, Riss (qui détient 66,7% du capital) promet depuis quatre ans d'ouvrir le capital aux autres salariés, mais ne l'a toujours pas fait. A l'AFP, il a assuré que cela reste son projet, ajoutant: "il faut qu'ils soient prêts parce que la tâche n'est pas simple".

Conclusion du spécialiste de la presse Patrick Eveno: "C’est une entreprise qui a beaucoup d’argent par rapport à sa petite taille, mais qui a un projet rédactionnel qui n’a pas su évoluer depuis [les attentats]. Le problème, c’est qu’ils voient que leur système rédactionnel ne marche pas très bien, qu’il y a des bisbilles entre ceux qui possèdent le capital".

les résultats de charlie hebdo (en millions d'euros)

Chiffre d'affaires 2004: 6,2 2005: 6,4 2006: 8,3 2007: 8,7 2008: 7,9 2009: 5,1 2010: 5,2 2011: 5,9 2012: 5,8 2013: 5,2 2014: nc 2015: 63,6 2016: 19,4 2017: 11,3

Résultat net
2004: +0,48
2005: +0,58
2006: +0,97
2007: +0,98
2008: +0,19
2009: -1,38
2010: -0,51
2011: +0,65
2012: +0,09
2013: -0,05
2014: nc
2015: +14,5
2016: +2,4
2017: -1,5

Trésorerie
2012: 0,1
2013: 0,05
2014: nc
2015: 26,2
2016: 19,6
2017: 18,5

Source: comptes sociaux

Jamal Henni