"Gagner du temps": la fonction publique teste l'intelligence artificielle pour mieux répondre aux usagers

C'est un premier pas qui peut paraître timide, mais il est bien réel. Certains services publics ont commencé à utiliser l'intelligence artificielle pour échanger plus efficacement avec les citoyens, dans le cadre d'une expérimentation présentée par le ministre de la Transformation et de la Fonction publique Stanislas Guerini ce 5 octobre.
Ce test, annoncé par le ministère en mai, vise à prendre en route la révolution de l'IA générative, incarnée par les applications comme ChatGPT ou Midjourney, qui ont bluffé le grand public et bouleversent l'économie. "Notre idée, c'est d'utiliser l'IA pour gagner du temps sur les tâches administratives, et de pouvoir mieux utiliser le temps de nos agents publics pour servir l'intérêt général", explique à Tech&Co Stanislas Guerini.
"Soit on décide de se mettre la tête dans le sable et de subir (ces changements, ndlr), soit on met l'intelligence artificielle au service de l'humain", résume le ministre.
Pour tâter le terrain, le ministère a donc dévoilé jeudi un outil de génération de texte semblable à ChatGPT, intégré à la plateforme service-public.fr. Une plateforme d'aide aux citoyens qui génère "des dizaines de milliers de mails chaque année", souligne le ministre auprès de Tech&Co. Une mine d'or en termes de données, de retours utilisateurs, et d'exemples de discussions entre agents publics et usagers.
Gagner du temps sur l'écriture des réponses
Cet outil est utilisé au quotidien depuis le mois d'août dans 9 réseaux d'agences publiques volontaires sur les 40 existants, avant que l'expérimentation ne soit élargie aux maisons France Services d'ici la fin de l'année. Exemple dans un des bureaux de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav), dans le XVIIe arrondissement de Paris.
Lorsqu'un usager a une demande, il peut laisser un avis sur la page "Je donne mon avis". C'est là que l'IA intervient: les agents du service concerné par l'avis peuvent utiliser le modèle pour générer une réponse adaptée.

Remerciements pour un commentaire positif, excuses et conseil pour un retour critique… Une réponse de plusieurs paragraphes apparaît sur l'écran de l'agent en moins de deux secondes. Des réponses "systématiquement modifiées, contrôlées" par l'agent humain avant d'être envoyées à l'usager, précise Stanislas Guerini à Tech&Co.
Développer une solution souveraine
L'application est donc assez limitée: pour le moment, l'IA n'assiste pas l'agent à écrire ses réponses à chaque étape de sa relation avec l'usager – idée qui avait été évoquée lors de l'annonce de l'expérimentation. Elle intervient seulement à la fin du processus.
Cette expérimentation touche aussi à des questions de souveraineté. Le programme actuel utilise une version modifiée de Claude, une IA semblable à ChatGPT développée par la start-up américaine Anthropic – qui n'explique pas comment ou sur quoi son IA a été entraînée, tout comme bon nombre de ses concurrents.
Y a-t-il un risque que les services publics dépendent de "boîtes noires" fabriquées à l'étranger? Pas du tout, selon le ministère: il ne s'agit là que d'un premier jet pour expérimenter le plus rapidement possible ce type d'IA et récolter des premiers retours d'expérience. Les données utilisées pour adapter Claude aux besoins des agents sont également anonymes, rappelle le ministère.
Grâce à ces premières semaines de test, certains biais ont déjà pu être détectés. Par exemple, l'IA actuelle produisait souvent des réponses jugées "larmoyantes" ou plus proches des retours d'un service client d'entreprise que d'un agent public.
L'objectif à terme: concevoir une solution spécifiquement adaptée aux usages des agents publics, à partir de logiciels libres conçus en France et de puissance de calcul française. Un programme encadré par la Direction interministérielle du numérique avec plusieurs acteurs, qui répond pour l'instant au nom de code "Albert".
Toute la filière française impliquée
Pour discuter de cette solution, le ministère avait justement organisé plus tôt dans la matinée une rencontre avec des acteurs clés de l'intelligence artificielle française. Autour de la table, des représentants de chaque étape du processus: de la recherche avec l'Inria et Centrale Supélec, aux entreprises françaises comme LightOn, Mistral AI et ReciTAL, en passant par le soutien public à la conception avec Etalab et le CNRS, qui opère le supercalculateur Jean Zay.
Tous se sont accordés sur l'importance de la "révolution" en cours, sur la mine d'or que représentent les données publiques, et sur l'intérêt de tester des solutions sans attendre une IA "parfaite".
"Si des entreprises utilisent ces systèmes pour diminuer leur temps de réponse, les attentes des citoyens vont évoluer en conséquence, et les services publics ont raison de s'y préparer", estime par exemple Florian Bressand, Chief Business Officer de Mistral AI.
Mais ces acteurs insistent également sur les besoins du secteur: plus de puissance de calcul installée en France, de formation, une plus grande ouverture des données, et la collaboration avec les meilleurs experts étrangers (au-delà des enjeux de souveraineté). Autant de pistes de réflexion pour aiguiller les prochaines étapes de cette expérimentation, dans les services publics et au-delà.