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"Une deuxième famille": 20 ans après sa sortie, pourquoi "World of Warcraft" passionne toujours ses fans

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Le 23 novembre 2004 sortait "World of Warcraft", un jeu en ligne massivement multijoueur produit par le studio Blizzard Entertainment. Vingt ans plus tard, sa communauté est toujours très solide.

Si l'Europe n'y a eu droit qu'en janvier 2005, World of Warcraft fête néanmoins déjà ses 20 ans d'existence aux États-Unis, où il a vu le jour le 23 novembre 2004. À l'époque, rien ne prédestinait le jeu en ligne de Blizzard Entertainment à devenir un véritable phénomène de société, intéressant les curieux bien au-delà du profil habituel du joueur de "MMO" (jeu en ligne massivement multijoueur).

Porté par le succès de Warcraft III, dont l'unique extension est sortie à l'été 2003, World of Warcraft va grimper les échelons comme aucun autre jeu massivement multijoueur jusqu'alors. Les concurrents sont certes nombreux à l'époque, notamment Everquest, Ultima Online ou encore Lineage, mais à l'instar de l'iPhone qui, en 2007, va mettre un coup de pied dans la fourmilière du marché des smartphones, World of Warcraft va réussir à déloger ses concurrents de la première place.

Pour mieux comprendre son impact, Tech&Co est allé interroger des joueurs qui ont traversé 20 ans d'aventures.

Un jeu exigeant mais accessible

Dès le lancement, le jeu s'illustre par les communautés de fidèle qu'il crée. Avec de vrais relations qui se nouent entre les joueurs.

"On avait toujours les 5000 mêmes personnes sur un serveur. Et ça a créé ces communautés qui se faisaient une sorte d’émulation, pour jouer toujours un petit peu plus, monter de niveau, gagner de la puissance", se rappelle Patrick Beja, podcasteur, auprès de Tech&Co.

Et Pierre Le Goupil, journaliste chez Phonandroid, d’ajouter : "Aujourd’hui, c’est devenu un peu plus solo. Mais à l’époque, on croisait quelqu’un dans la pampa en train de faire une quête. On allait discuter et on commençait à jouer avec lui. C’était une fenêtre sur l’extérieur vers des gens qu’on ne connaissait pas et qui avaient le même centre d’intérêt que nous". Avec au passage une féminisation du jeu, encore relativement rare à l'époque.

"Il y avait beaucoup de femmes qui jouaient à WoW dès le début, elles étaient complètement passionnées", se souvient Patrick Beja. "Je pense que ça a été la porte d’entrée vers le jeu vidéo pour beaucoup d’entre elles. Wow, c’était l’idée qu’on pouvait réunir une communauté forte et durable autour d’un jeu."

"Je me souviendrai toute ma vie de la première fois que j'ai lancé le jeu, avec sa cinématique d'introduction, sa musique, son ambiance," se souvient Céline auprès de Tech&Co, qui a démarré son aventure quelques mois après le lancement européen.

Même s'il est plus grand public que ses concurrents, World of Warcraft s'adresse, à ses débuts, aux joueurs aguerris, prêts à mettre beaucoup de leur temps pour investir les défis les plus difficiles: "À l'époque, il fallait postuler à des guildes comme on postulait en entreprise," explique Jérémy, "mais ça en valait la peine car seuls les joueurs les plus sérieux étaient capables de réussir les donjons les plus difficiles."

Aux côtés des affrontements impliquant jusqu'à 40 joueurs et des tactiques millimétrées, World of Warcraft a également su satisfaire les joueurs les plus occasionnels, voulant profiter de l'histoire. Une donnée qui s'est encore accélérée avec les années.

"Des débuts exigeants, le World of Warcraft d'aujourd'hui n'a plus rien de ça," témoigne Alexis, "même si les défis existent encore, tout a été nivelé vers le bas pour attirer toujours plus de joueurs, même ceux ne jouant que quelques heures par semaine ou par mois."

"On avait une réputation sur le serveur au début," ajoute Alexandre, joueur depuis le lancement, "c'était la première fois où je m'investissais réllement dans un jeu vidéo."

"Je n'arrive pas à retrouver une expérience similaire"

Un mal pour un bien? "Au début, ça a été accueilli fraîchement, mais les donjons nécessitant un groupe de 20 ou 40 joueurs, autrement dit le contenu de 'fin de jeu', n'étaient accessibles que pour un très faible pourcentage de joueurs, il fallait que ça change pour que les plus occasionnels ne décrochent pas," confie à Tech&Co un ancien responsable communautaire européen de Blizzard.

Les changements, opérés en 2007 avec la première extension du jeu, The Burning Crusade, font décoller le jeu, qui dépasse les 13 millions de joueurs: "J'ai testé beaucoup de MMO, mais j'aime le gameplay de World of Warcraft, son univers, ses musiques, je n'arrive pas à retrouver une expérience similaire ailleurs," explique Céline.

Le jeu de Blizzard peut aussi se targuer de posséder des joueurs fidèles qui reviennent, qu'importe les tempêtes: "Si j'ai réduit mon temps de jeu, je reviens sur World of Warcraft à chaque nouvelle extension. Je me paye un ou deux mois d'abonnement, et puis je continue l'histoire," note Alexis.

De son côté, Alexandre voit dans le jeu une "madeleine de Proust": "La nostalgie y fait pour beaucoup, c'est comme une deuxième famille."

World of Warcraft
World of Warcraft © Blizzard

"Aujourd'hui, ce qui fait gagner de l'argent à Blizzard, c'est sa communauté qui ne veut pas lâcher des milliers d'heures de jeu. Ils essaient d'aller voir ailleurs, mais à la fin, ils reviennent, car lorsqu'un nouveau jeu se lance, le contenu n'est pas aussi gargantuesque que celui qu'ils connaissent," précise un ancien salarié de Blizzard.

Un jeu qui a forgé des amitiés dans la vie réelle

Cette fidélisation, Céline l'a bien comprise: "Je n'ai jamais vraiment arrêté. J'aime le jeu, jouer en guilde, tomber des boss en raid, découvrir les extensions..."

Mais ce qui fait aussi que World of Warcraft a convaincu, c'est dans sa manière dont il a créé de véritables amitiés: "Honnêtement, avant de démarrer le jeu, je ne pensais pas que ce serait possible de faire des joueurs que je croisais des amis," confie Jérémy. Même constat pour Céline: "C'est la beauté de ce MMO, aller au-delà de nos personnages pour rencontrer de belles personnes."

C'est sans doute aussi pour toutes ces raisons que les révélations autour d'une culture d'entreprise toxique au sein de Blizzard n'ont eu que peu d'incidence sur la communauté de World of Warcraft: "Comme dans de nombreuses entreprises et en particulier du jeu vidéo, il y a des problèmes, des mauvaises décisions qui sont prises et des choses qui nous dépassent," ajoute cette joueuse de 37 ans, qui a commencé à jouer avant sa majorité.

Avec encore deux extensions à venir pour clôturer une trilogie initiée en 2024, World of Warcraft n'est pas prêt de s'arrêter, ce qui n'empêche pas les joueurs de se poser des questions sur l'avenir: "Ne serait-ce que pour bénéficier d'outils plus modernes, il va falloir que Blizzard pense à une suite," pense Alexis.

"Il y a un risque de nostalgie," souligne Céline, une nostalgie qui a d'ailleurs poussé Blizzard à lancer World of Warcraft Classic afin de proposer aux anciens joueurs ou fidèles de se replonger dans les origines de son MMO culte.

Sylvain Trinel