Le jeu vidéo français vit-il sous perfusion des aides publiques?

8.000 postes supprimés depuis le 1er janvier dans le secteur du jeu vidéo, difficultés à lever des fonds, flambée des coûts de production... Après les années fastes du Covid, l'industrie mondiale du gaming montre ses premiers signes d’essoufflement.
“Les difficultés ont commencé dès le milieu de l’année 2023. Mais les licenciements ne sont que le haut de l'iceberg”, remarque Stéphane Rappeneau, Président du studio Indie Plaza. Entre le gel des investissements, la surabondance de jeux sur le marché et les contre-performances de certains acteurs majeurs du secteur, 2024 ne s’annonce guère mieux. "Le risque, c’est de voir certains studios fermer leurs portes, faute de financement."
Dans ce contexte difficile, le secteur mise sur la panoplie d’aides publiques pour rester compétitif. Parmi les plus importantes, le crédit d’impôts jeu vidéo (CIJV) créé en 2007. Il permet aux entreprises installées en France de bénéficier d'un crédit d'impôt de 30% sur les dépenses éligibles d’un nouveau jeu, dans la limite de 6 millions d’euros.
Un tiers des budgets du secteur
S’ajoutent à cela les aides régionales, ainsi que des aides financées par le secteur culturel comme celles du Centre national du cinéma (CNC) avec le Fonds d'aide au jeu vidéo (FAJV), principalement destiné aux studios indépendants. On retrouve par ailleurs des aides non-spécifiques au secteur, comme le Crédit d'impôt recherche (CIR).
“Ces dispositifs comptent parmi les plus généreux au monde”, souligne Stéphane Rappeneau. “Ils ont revitalisé le secteur et permis à cette industrie française, et de rayonner à l’international.”
Il suffit de jeter un œil à la cérémonie des Pégases, qui récompense les meilleures productions françaises. L’ensemble des jeux vidéo primés ont bénéficié de l'appui du service public.

Au total, les aides publiques représentent près d'un tiers des budgets des entreprises du secteur. Dans le détail, le crédit d'impôt jeu vidéo correspond en moyenne à 14,1% des dispositifs de financements selon le baromètre annuel 2023 du jeu vidéo en France publié par le Syndicat national du jeu vidéo (SNJV).
Les aides régionales représentent plus que le financement bancaire, avec 12,3% des budgets alloués à la production. Et sur le seul volet production, le fonds d'aide au jeu vidéo, compte pour 7,3% de ces budgets.
"Le business model n'est pas centré sur les aides"
Alors, l'industrie du jeu vidéo est-elle biberonnée aux aides publiques? L'ensemble des acteurs interrogés sont unanimes: le business model du secteur du jeu vidéo n'est pas centré sur les aides.
"L’industrie n’a pas vocation à exister via les dispositifs publics. Quand un studio développe un jeu, il ne le fait pas pour décrocher une aide, mais pour séduire un marché international", se défend Anne Dévouassoux, présidente du syndicat du SNJV.
"Les investisseurs, la signature d'un contrat avec un éditeur, et la vente de jeux vidéo restent les principales sources de financement des studios", poursuit-elle. Les dispositifs gouvernementaux viennent donc en soutien des autres sources de revenus.
"Il y a un puissant effet de levier des aides publiques", ajoute François Cubaynes, délégué général de Push Start, l'association des professionnels et futurs professionnels du jeu vidéo en Occitanie. Car, qui dit obtention d'une aide, dit investisseurs rassurés et donc, hausse des financements extérieurs.
Vers une baisse des montants?
Mais pour combien de temps? Le gouvernement envisage de retravailler à la baisse les dispositifs à destination du secteur. "Les aides régionales sont dans le viseur du gouvernement. Des régions comme l'Île-de-France, qui représente 50% des entreprises du jeu vidéo, ou l'Occitanie, envisagent de réduire leur fonds d'aide, faute de budget", alerte Anne Dévouassoux.
"Une catastrophe potentielle", selon François Cubaynes. "Cela reviendrait à envoyer un mauvais signal à l'ensemble de l'écosystème et, in fine, à compliquer l'installation et le développement des acteurs français sur la scène internationale."
Un constat partagé par Stéphane Rappeneau. "Le fléchissement des politiques publiques, c'est le risque de voir les studios français se tourner vers des financements étrangers et de perdre nos talents." En effet, la France est en concurrence avec d’autres pays, comme le Québec, qui propose un crédit d’impôt particulièrement avantageux.
Autre risque majeur, la réduction du nombre de studios français. "Les aides publiques, et notamment les dispositifs régionaux, sont nécessaires à l'émergence de nouveaux acteurs", poursuit Anne Dévouassoux. Car, lorsqu'un studio se lance, il ne peut pas compter sur les ventes d'un jeu vidéo pour se financer. Avec le risque donc, de perdre la petite entreprise qui deviendra peut-être, l’Ubisoft de demain.