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"Beaucoup de travail et de sacrifices": comment devient-on joueur pro d'esport?

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À l’occasion de la finale Six Invitational du jeu Rainbow Six Siege à Montréal (Canada), Tech&Co est allé à la rencontre des joueurs esport de l'équipe Wolves. Derrière les passionnés avec de grandes qualités, des années de sacrifice et une discipline de vie pour réussir.

Gagner jusqu’à 200.000 dollars par an en jouant à League of Legends, DOTA 2 ou Counter-Strike: GO. Parcourir le monde pour jouer à FIFA, Hearthstone ou bien même Rainbow Six Siege, et soulever des trophées devant des foules en délire. Une vie qui fait rêver beaucoup de jeunes joueurs qui voient là un moyen d’assouvir leur passion pour le jeu vidéo tout en faisant le job de leurs rêves.

Si vous pensiez qu’il suffisait d’être bon sur un jeu de tir ou de stratégie compétitif pour devenir professionnel, de l’aveu même des joueurs pro esport, cela n’a rien d’aussi simple. À l’occasion du Six Invitational, la finale du tournoi mondial du jeu vidéo Rainbow Six Siege qui s’achève ce dimanche près de Montréal (Canada), nous nous sommes glissés en coulisse pour suivre ceux qui se rêvent champions du monde. Des Messi ou Mbappé clavier et souris sous les doigts, casque vissé sur la tête, qui visent là la consécration de leur saison. Entre désillusion et joie, ils vivent leur passion à 200 %. Au prix de certains sacrifices pour en arriver là.

Du bonheur “grisant” de jouer en public

“Ça fait sept ans, presque huit ans que je joue au jeu maintenant et c’est ma première scène au Six Invitational”, explique Valentin “Risze” Liradelfo, capitaine de l’équipe Wolves Esports qui a réussi à se hisser dans le tableau final. Portés par des fans nombreux, les cinq joueurs ne sont pas passés loin de la qualification pour le tour suivant, battus d’un cheveu par l’équipe G2 Esport. Mais Risze comme ses coéquipiers en garde un souvenir fort. “C’est une expérience dont il faut profiter, c’est absolument incroyable d’avoir une foule qui crie pour nous donner de la force. On la ressent et ce sont de bonnes vibes qui resteront à jamais gravées dans ma mémoire”, reconnaît le Belge.

De gauche à droite: Yanis "Mowwwgli" Dahmani, Nicolas "P4" Rimbaud, Valentin "Risze" Liradelfo et Axel "Shiinka" Freisberg
De gauche à droite: Yanis "Mowwwgli" Dahmani, Nicolas "P4" Rimbaud, Valentin "Risze" Liradelfo et Axel "Shiinka" Freisberg © Ubisoft - Eric Ananmalay

Pas question d’expliquer la défaite par la pression. “La pression par rapport au public, je ne l’ai plus trop avec l’expérience acquise au fil des années”, explique Valentin. “Ça dépend du mental de chacun, de sa personnalité. Moi, je trouve ça grisant au contraire.” Et il sait aussi qu’en arriver là, même si le titre leur échappera, c’est déjà en partie une consécration de tous les efforts consentis en route.

“Pour être là, il faut déjà en passer par un chemin rempli de sacrifices. C’est six jours sur sept, presque pas de vie privée et la tête dans le guidon, sur le jeu, tout le temps”, résume le capitaine. “Il faut qu’on soit bon, il faut qu’on soit meilleur que les autres et cela passe par le travail, le fait de jouer beaucoup pour s’entraîner. On sacrifie les soirées avec les copains parce qu’il y a des entraînements le soir, le temps avec sa compagne ou son compagnon parce qu’on s’entraîne aussi en journée.”

Du travail certes, mais pas seulement. “Je vais peut-être démystifier un petit peu la chose, mais je pense qu’au-delà de ça, il y a aussi le fait d’avoir peut-être des prédispositions. Tout le monde n’est peut-être pas fait pour devenir joueur professionnel", confie celui qui a toujours voulu faire de l’esport depuis qu’il est ado.

L'équipe Wolves prêt pour son prochain match du Six Invitational
L'équipe Wolves prêt pour son prochain match du Six Invitational © Ubisoft - Eric Ananmalay

Des prédispositions et de l’expérience, son coéquipier Bastien "BiBoo" Dulac en a et il connaissait déjà l’ambiance du Six pour être venu avec son ancienne équipe Supremacy en 2018. "A l’époque, on n’était pas encore professionnel. C’était plus un hobby semi-professionnel. On jouait en rentrant de l’école ou du travail", se rappelle-t-il. "J’ai fait 2018 et puis, plus rien jusqu’en 2023". De quoi réfléchir aussi à la direction qu’il voulait prendre. "La différence entre cette première expérience et aujourd’hui, c’est que c’est désormais mon travail. Je suis payé pour", déclare le joueur. "C’est ce premier Six qui m’a fait passer professionnel. Depuis, tout s’est professionnalisé autour de moi, mais je garde la même passion."

Sportif et esportif professionnel, des profils bien parallèles

Pour les deux plus anciens des Wolves, le parallèle entre sportif et esportif est vrai. Les valeurs partagées aussi. Il faut être tout autant compétiteur dans l’âme et avoir le mental. “Le mental est quelque chose de très important en compétition", rappelle Risze. "Il faut être fort, capable d’encaisser ce qu’on s’inflige pour devenir meilleur, pour performer”.

Le soutien de la famille est aussi important. Dans les gradins de Place Bell, on croise ainsi un supporter qui dénote quelque peu par rapport à la jeune foule à ses côtés, mais pas par son enthousiasme. C’est le papa de Nicolas "P4" Rimbaud venu encourager son fils en lui faisant une surprise. "Il m’a dit qu’il était très fier", explique ému le joueur. "Le voir dans le public crier d’être heureux pour moi, ça me remplit de bonheur". Car il reconnaît que ça n’a pas toujours été facile d’expliquer son métier à ses proches. "Ça a été dur pour lui au début de comprendre. Quand les choses sérieuses ont commencé, les grandes compétitions, les contrats, que j’ai commencé à vraiment gagner ma vie, il a compris et il suit tous les matches depuis. C’est mon fan numéro un", s’amuse-t-il.

Le capitaine Risze réconforte Mowwwgli, jeune star montante des Wolves
Le capitaine Risze réconforte Mowwwgli, jeune star montante des Wolves © Ubisoft - Eric Ananmalay

Quand on lui demande comment être un bon joueur esport, Risze ne tergiverse pas sur la définition de son métier: “Si on a la fibre, il faut vraiment soigner son image, faire attention à ce qu’on dit, à qui on le dit, sur les réseaux notamment. Enfin être juste humain, attentionné et un bon coéquipier, capable aussi d’être meneur d’hommes, de les porter et de faire en sorte qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes. Je pense que ce sont les plus grandes qualités qu’un joueur compétitif peut avoir”, résume le trentenaire. Et d’ajouter: “C’est ce qui fait aussi les meilleures équipes.”

Y a-t-il un âge maximal pour un joueur esport? On dit souvent que les meilleures années sont à la vingtaine, puis qu’avec le temps, les réflexes diminuent. Risze ne veut y croire. “Le cerveau est un muscle qui se travaille comme n’importe quel autre”, nous glisse-t-il. “Passé 25 ans, l’expérience va de toute façon prendre le dessus ou compenser certaines choses et beaucoup de joueurs sont encore hautement compétitifs.” A bientôt 31 ans, il n’entend pas raccrocher de sitôt. “Tant qu’on a la passion, l’âge n’a pas d’importance. Tant qu’on me laisse jouer, qu’on ne me kick pas (écarte de l’équipe, NDLR) et qu’on estime que je peux encore faire le travail, tant que j’ai la flamme, je jouerai”, rigole-t-il avant de se dire prêt pour la prochaine compétition.

Par Melinda Davan-Soulas