Tech&Co
Streaming

Streaming: faut-il se méfier de Kick, le concurrent controversé de Twitch?

placeholder video
Depuis plusieurs mois, des grands noms du streaming délaissent Twitch au profit de Kick. La nouvelle plateforme de diffusion en direct veut devenir une référence en définissant de nouveaux standards de rémunération ou de modération.

"J'arrive sur Kick l'autre jour. Première page, je vois quoi? Deux mecs bourrés en live." L'anecdote est racontée par Amine, l'un des Français les plus influents de Twitch suivi par plus de deux millions de personnes. Or, sur la plateforme de diffusion en direct d'Amazon, être ivre en direct est interdit.

Lors de l'émission Outplay de Gotaga (Corentin Houssein, de son vrai nom) lundi 19 juin, le nouveau concurrent de la place forte du streaming a longuement été évoqué. Car depuis son lancement en décembre, la plateforme Kick questionne, intrigue, mais inquiète aussi.

A son lancement en décembre 2022, Kick a d'ailleurs été très mal accueilli. Sans audience, la plateforme a été perçue comme un repère des créateurs déchus de Twitch, soit par leur contenu clivant ou par des bannissements.

"Notre critère, c'est l'intention"

"Loin de moi l'idée de vouloir généraliser, mais j'ai remarqué que pas mal de streamers qui ont lancé un stream sur Kick ont déjà été bannis au moins une fois sur Twitch", pointait ainsi TomTom, dont la chaîne YouTube Zero Absolu Gaming distille des conseils sur le streaming.

D'ailleurs, Kick assume cette stratégie. Sur Twitter (désormais renommé "X"), la plateforme fait régulièrement des appels du pied aux créateurs sanctionnés par la concurrence. Surtout, elle définit une politique de modération plus laxiste, se contentant de supprimer les contenus pornographiques. Pour le reste, tout est question d'interprétation.

Il n'y a d'ailleurs pas de liste de mots interdits qui pourrait déclencher un banissement sur Kick. Contrairement à Twitch, la modération est plus permissive. Les dirigeants veulent comprendre ce qu'un créateur a voulu exprimer avant de sévir. Un procédé qui tranche avec les méthodes de Twitch, beaucoup moins ouvert au dialogue.

"Notre critère, c'est l'intention, et nous discutons avec les créateurs pour savoir si nous avons raté une blague ou une tendance", affirmait Ed Craven, le cofondateur de Kick, lors d'une interview avec le site Streams Charts en mai.

Mais cela a ouvert la voie à des débordements. Au début de la plateforme, des propos racistes ou homophobes ont pu être observés dans les espaces de discussion de certaines chaînes. En prenant de l'ampleur, le phénomène semble s'être atténué. Au cours de nos visites, Tech&Co n'a pas constaté de tels débordements.

Du casino et des femmes dénudées

Mais les craintes autour de Kick ciblent également le type de contenus proposés. D'abord, les femmes sexualisées sont légion. Particulièrement critiquée sur Twitch, la catégorie "Hot tubs" (jacuzzi, en français) est parmi les plus regardées sur Kick. Des créatrices en maillot de bain, ou petite tenue, incitent leur audience à souscrire des abonnements ou faire des donations en promettant d'inscrire le nom des plus généreux sur leur corps.

L'autre catégorie phare de Kick, ce sont les jeux d'argent. Rien d'étonnant lorsque l'on sait que Stake.com (l'un des plus grands sites de casino en ligne) se cache derrière la plateforme. C'est d'ailleurs en réponse à une interdiction de ce type de contenus sur Twitch - concernant uniquement certains sites - que Kick a vu le jour.

Inondé de jeux d'argent et de femmes dénudées, le concurrent de Twitch a dévoilé début juillet une option pour masquer ces catégories de contenu. Seul problème, il ne reste plus grand chose à regarder. C'était du moins le cas sur les premiers mois de vie de la plateforme.

Car depuis quelques semaines, le contenu de Kick s'assagit. Et la plateforme n'est plus la cour des Miracles qu'elle pouvait rappeler à ses débuts. Notamment grâce à l'arrivée de créateurs beaucoup moins controversés.

100 millions de dollars

Parmi les premières grosses prises de la scène française figure ChowH1. Célèbre par son niveau sur Call of Duty: Warzone, le féru de jeux de tir continue de diffuser ses parties sur Twitch le matin, mais bascule sur Kick en soirée. Contacté par Tech&Co, le streamer n'a pas donné suite à nos sollicitations.

Sur la scène internationale, Kick est parvenu à mettre la main sur xQc, l'un des créateurs les plus regardés de Twitch. Le streamer canadien s'est vu proposé un contrat de 100 millions de dollars pour diffuser ses directs chez la concurrence. Et ce, sans clause d'exclusivité.

Cette stratégie a permis de noyer les contenus non conventionnels, voire controversés, grâce à l'arrivée d'autres créateurs. Notamment des streamers plus méconnus, dont l'audience ne permet pas de tirer d'énormes revenus comme peuvent le faire les têtes d'affiche du domaine.

La difficulté à pouvoir gagner sa vie du streaming, Kick l'a clairement identifiée. C'est pourquoi la plateforme revendique un partage des revenus avantageux, notamment sur le prix des abonnements: 95% pour le streamer, 5% pour la plateforme. Chez Twitch, c'est au maximum 70/30 sous certaines conditions, sinon la plateforme d'Amazon fait moitié-moitié.

Aussi, Kick a profité d'une mécompréhension de son programme de rémunération. La plateforme propose un paiement de 16 dollars de l'heure. Seul problème, beaucoup ont cru que tous les streamers y étaient éligibles. Or, un minimum de spectateurs était nécessaire pour y prétendre. Ce qui a finalement évincé une grande majorité des créateurs de l'offre.

En attirant des créateurs célèbres ou en promettant une meilleure rentabilité, Kick cherche surtout à faire grossir son audience. Car pour l'heure, la plateforme reste un petit poucet du streaming.

"Amener vers les casinos"

Malgré un nombre de visites doublé au mois de juin (grâce à l'arrivée de xQc), Kick ne compte que 150 millions de visites mensuelles, selon Similarweb. C'est bien moins que Twitch et ses 1,1 milliard de visites.

Fin juin, la plateforme a annoncé avoir franchi la barre des 10 millions d'inscrits. C'est là encore le double du mois précédent. Fin mai, Kick se félicitait d'atteindre les 5 millions de comptes.

Soit autant de personnes susceptibles de tomber sur un créateur en train de gagner (ou perdre) des sommes folles au casino en ligne.. incité à faire de même et à dépenser son propre argent, avec de potentiels addictions à la clé.

Car comme le streamer TomTom en faisait l'analyse dès le mois de mai: "la plateforme Kick a été bâti dans le seul but d'amener de nouvelles personnes vers [les] casinos en ligne (de Stake.com, ndlr)."

Surtout, le casino en ligne est interdit en France. Comme le rappelle l'Autorité nationale des jeux (ANJ), cette pratique expose à des risques de triches, de vols de données personnelles ou encore à de possibles gains impayés. Le tout, sans recours possible sur le plan légal.

Il existe bien la possibilité de retirer ces contenus de vos suggestions, mais comme le montre la communication de la plateforme: le casino et les femmes dénudées font partie à part entière de l'expérience Kick.

Pierre Monnier