"Des performances énergétiques irréalistes": ces propriétaires qui se retrouvent coincés avec des biens impossibles à rénover

(Photo d'illustration) - AFP
Il la qualifie de crise silencieuse. Sylvain Gruelles, fondateur d'Arcadie Maîtrise d'œuvre, expert de la rénovation, dénonce la chasse irréfléchie aux passoires thermiques en France. Car selon lui, "on pousse à la rénovation sans prendre en compte la diversité du bâti. Beaucoup de propriétaires se retrouvent avec des maisons bloquées, ni vendables ni louables".
Sylvain Gruelles explique que 1,5 million de logements sont considérées comme des passoires thermiques mais que tous ne peuvent pas être mis aux normes. Les raisons sont diverses. Certains sont des bâtiments historiques avec d'importantes contraintes patrimoniales. En France, 15% du parc immobilier se trouve dans des secteurs protégés où les Architectes des Bâtiments de France limitent fortement les travaux.
Sylvain Gruelles donne l'exemple d'un propriétaire d’une maison classée en centre-ville de Bordeaux qui s’est vu refuser l’isolation par l’extérieur pour préserver la façade historique. D'après lui, il ne peut pas améliorer son diagnostic énergétique car l'isolation par l'intérieur serait trop coûteuse et réduirait de manière trop importante la surface habitable.
"Un investissement absurde pour un propriétaire modeste"
Pour d'autres biens immobiliers le problème de rénovation serait celui du prix. Les coûts sont disproportionnés par rapport à la valeur du bien. Sylvain Gruelles raconte le dilemme de Nathalie L., propriétaire en Dordogne d'une maison achetée 80.000 euros et qui nécessiterait 100.000 euros de rénovation pour atteindre un DPE satisfaisant.
"Un investissement absurde pour un propriétaire modeste."
D'autant que les banques seraient frileuses à prêter pour des biens de faibles DPE et que les aides ne couvrent pas toutes les dépenses.
Et enfin pour certains bien le problème soit celui de l'incompatibilité technique avec les normes énergétiques. Certains logements ne peuvent pas atteindre les critères fixés par les nouvelles lois.
Et le fondateur d'Arcadie cite les cas fréquents des murs en pierre trop épais, empêchant une isolation efficace; des planchers en bois anciens, non compatibles avec des systèmes modernes de chauffage au sol ou enfin des mauvaise orientation et faible ensoleillement, qui rendent inefficace l’installation de panneaux solaires ou de pompes à chaleur. Sylvain Gruelles insiste: "On applique les mêmes critères à une maison du 19ᵉ siècle et à un immeuble moderne. C’est une aberration technique".
Des solutions à mettre en place
Ces biens se retrouvent donc inlouables et difficilement vendables. Sylvain Gruelles propose trois solutions. Tout d'abord, créer un fonds spécial pour les rénovations complexes.
"Les aides actuelles sont insuffisantes pour les cas extrêmes. Un fonds d’urgence dédié aux biens inadaptables (bâtiments historiques, zones rurales) permettrait aux propriétaires de rénover sans s’endetter à vie."
Ensuite, il propose d'adapter les normes au bâti ancien: "Plutôt que d’exiger des performances énergétiques irréalistes, autoriser des rénovations progressives comme une isolation partielle, un chauffage amélioré ou un bonus pour le maintien des matériaux d’origine (bois, pierre)".
Et enfin, il demande un assouplissement de l'interdiction de location: "Plutôt qu’un bannissement brutal, permettre aux propriétaires de louer s’ils s’engagent dans un plan de rénovation sur 5 ans avec un suivi obligatoire".
"Il faut arrêter de mettre tous les logements dans le même moule. Sans mesures adaptées, on court à la catastrophe: un débat doit s’ouvrir sur l’adaptation des normes et des aides aux réalités du terrain", conclut Sylvain Gruelles.