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Fiscalité

Le 1% des Français les plus riches s'expatrient 2 fois moins que la moyenne: est-ce que taxer les millionnaires les fait vraiment fuir?

Le Parti socialiste a revendiqué mercredi la paternité de la taxation des revenus des capitaux des "exilés fiscaux", une mesure qui bénéficie d'un large soutien auprès des Français à moins de deux mois de l'élection présidentielle. /Photo prise le 19 octo

Le Parti socialiste a revendiqué mercredi la paternité de la taxation des revenus des capitaux des "exilés fiscaux", une mesure qui bénéficie d'un large soutien auprès des Français à moins de deux mois de l'élection présidentielle. /Photo prise le 19 octo - -

Selon une étude du Conseil d'analyse économique, les ménages à hauts revenus du capital sont bien sensibles à la fiscalité. Lorsque les impôts augmentent, ils sont plus nombreux à quitter le pays. Mais ces expatriations ne pèsent pas lourd en proportion de la population française. Si bien que les conséquences pour l'économie tricoliore sont minimes.

Faut-il alourdir la fiscalité sur les hauts patrimoines pour assainir les finances publiques? À l'heure où le gouvernement tente péniblement de doter la France d'un budget pour 2026, c'est l'une des questions qui divise (encore) la classe politique.

Déjà en juin, la taxe Zucman visant à instaurer une taxation d'au moins 2% sur les patrimoines de plus de 100 millions d'euros avait échoué à passer l'épreuve du Sénat. Principal argument des opposants à ce projet défendu par la gauche: le risque de voir les ultra-riches fuir le pays s'ils étaient visés par une telle mesure.

Une menace réelle? Plusieurs économistes du Conseil d'analyse économique (CAE) se sont penchés sur la question en se concentrant sur le comportement des 1% des Français ayant les plus hauts revenus du capital (dividendes, intérêts financiers, loyers...), soit 380.000 foyers. Voir ces ménages s'expatrier en raison d'une pression fiscale trop lourde est "une crainte légitime" sachant qu'ils sont "davantage susceptibles d'êtres impliqués dans une activité entrepreneuriale jouant ainsi un rôle important dans l'activité économique", souligne le CAE.

Des départs en hausse mais qui restent peu nombreux

Pour autant, l'organisme rattaché à Matignon observe en premier lieu que les ménages avec de hauts revenus du capital s'expatrient peu et même moins que les autres: "seulement 0,2% du top 1% français s'expatrie chaque année, soit deux fois moins que lorsqu'on considère l'ensemble de la population française (0,38%)". Les Français les plus riches qui tirent leurs revenus d'autres sources que le capital (travail, pensions...) sont aussi plus nombreux à quitter le pays que les hauts revenus du capital (0,6% contre 0,2%).

Cela ne signifie pas que les hauts patrimoines sont insensibles à la fiscalité. Au contraire, la hausse des prélèvements sur les revenus du capital lors du mandat de François Hollande en 2013 (suppression du prélèvement forfaitaire libératoire, CSG à 15,5%) a fait augmenter le taux de départ des Français visés de 0,04 à 0,09 point de pourcentage, d'après le CAE. À long terme, l'augmentation de l'imposition d'un point conduirait à accroître les départs de 0,02 à 0,23%.

"Ces effets, quoique faibles en valeur absolue, représentent une variation non négligeable des flux: la hausse de la fiscalité de 2013 a ainsi augmenté les flux de départs nets de 32 à 79%", notent les experts.

À l'inverse, la baisse de la fiscalité en 2017 et 2018 (suppression de l'ISF, instauration du PFU) a limité l'exode fiscal (taux de départ en baisse de 0 à-0,02 point) et favorisé les retours dans l'Hexagone avec un taux de retours en hausse de +0,01 à +0,04 point, soit une progression de 7 à 28% des flux.

Quel impact sur l'économie?

Ce constat désormais dressé, les économistes du CAE ont tenté de mesurer l'impact de l'exode fiscal des plus riches sur l'économie française. Premier enseignement: le départ d'un actionnaire contrôlant au moins 10% d'une entreprise pénalise l'activité de celle-ci dans les cinq ans qui suivent avec une baisse de chiffre d'affaires de 15%, un recul de la masse salariale de 31% et une chute de la valeur ajoutée de 24%.

Mais ces effets s'expliquent souvent par des phénomènes de restructuration d'entreprises: "Ces changements de structure s’accompagnent souvent de changements dans l’identifiant de l’entité légale de l’entreprise expliquant sa disparition dans les données administratives. Mais ces disparitions ne signifient pas nécessairement que l’activité économique de l’entreprise disparaisse. Celle-ci peut être restructurée ou absorbée dans une nouvelle structure, ou rachetée par une autre entreprise sur le territoire national", relève le CAE.

Ces effets sont aussi en partie compensés par des mécanismes "de réallocation et d’équilibre". Par exemple, les salariés ayant perdu leur emploi peuvent être réaffectés vers d’autres activités ou entreprises. Une fois tous ces éléments pris en compte, l'expatriation d'un actionnaire réduirait plutôt le chiffre d'affaires de l'entreprise de 12,4%, la masse salariale de 13,3% et la valeur ajoutée de 21,3%.

Surtout, ces départs à l'étranger restent "suffisamment faibles pour n’avoir qu’un effet marginal sur l’économie française", concluent les économistes. Dans le pire des scénarios et en prenant comme hypothèse une réforme fiscale augmentant les recettes de l'État de 4 milliards d'euros, l'exode des hauts patrimoines entrainerait un recul de la valeur ajoutée totale de l'économie tricolore de 0,05% et une réduction de 0,04% de l'emploi total.

C'est ce qui fait dire au CAE que "le débat public, en se focalisant sur l'exil fiscal, se trompe sans doute de cible". Car l'exil fiscal n'est qu'une réponse parmi d'autres à l'augmentation de la fiscalité sur les hauts patrimoines, et sans doute pas la plus pénalisante, d'après les économistes qui jugent qu'il est "essentiel de recentrer le débat sur les autres marges de réponse des hauts patrimoines à la fiscalité, notamment sur les stratégies d'optimisation pour échapper à l'impôt".

https://twitter.com/paul_louis_ Paul Louis Journaliste BFM Eco